Le dévoilement de l’« acte II » du choc des savoirs par la ministre de l’Éducation nationale nous oblige, à repenser ce que nous attendons de l’école. Sélection ou éducation ? Excellence ou égalité ? Des enfants qui savent ou des enfants qui font ?

A peine un an s’est écoulé depuis le « choc des savoirs » que Mme Genetet annonce un acte 2 qui prévoit la généralisation des groupes de niveaux au collège et le caractère obligatoire du brevet pour entrer au lycée. Faut-il s’en féliciter ou s’en indigner ? Le succès indéniable de la formule, pro et contra, permet d’identifier trois grandes questions pour en juger.

Qu’est devenue l’autonomie des établissements ?

La première, c’est celle de son organisation et du rôle respectif de chacun de ses rouages. En s’attachant ainsi à l’introduction ou la suppression d’une heure hebdomadaire dans les emplois du temps des collégiens, le pouvoir ministériel s’exerce à une échelle qui semble bien éloignée de ses prérogatives. De minimis non curat praetor dit l’adage, le chef ne s’occupe pas des détails. Nos ministres sont-ils si désœuvrés qu’ils se substituent désormais aux chefs d’établissements ?

L’enquête PISA plaidait justement pour accroître les marges de manœuvre des établissements, en particulier pour une école française « trop dirigiste et dirigée ». Les études soulignent les effets positifs d’une responsabilité locale accrue vis-à-vis des élèves, des parents et du grand public pourvu que trois conditions soient réalisées : une évaluation régulière des résultats, le renforcement des capacités de direction des établissements et une offre de formation continue adaptée aux besoins des enseignants. Quelle lecture ont donc fait nos édiles de cette enquête pour multiplier ainsi les annonces, ignorer les évaluations et dessaisir les responsables ?

Qu’est-ce que la réussite scolaire ?

Deuxième question : quelle l’idée nous faisons-nous exactement de la réussite scolaire ? Serons-nous vraiment plus avancés quand nous aurons réussi à emmener l’ensemble d’une génération à bac+5 ?

Les élèves qui échoueront au brevet seront désormais orientés vers une prépa-seconde ou un CAP. Rien ne peut davantage stigmatiser les voies professionnelles. A l’heure où nous prétendons revaloriser la production, le tissu industriel et les formations qui y conduisent, il serait temps de s’en servir autrement que comme voie de relégation. Si un élève ne maîtrise pas les compétences fondamentales que la Nation exige de ses citoyens, il ne semble pas qualifié non plus à s’engager dans les filières où se joue la compétitivité de nos entreprises.

Si la République donne un rôle prééminent à l’école obligatoire, c’est pour former des citoyens libres et éclairés. Nos enfants n’ont pas seulement besoin de savoir, mais aussi de sentir et de faire. Ces indispensables dimensions de la formation de la personne sont insuffisamment mises en œuvre et expliquent le désintérêt de beaucoup de jeunes pour l’école. Plus que des groupes de niveaux, les collégiens ont besoin de faire plus de sport, de conduire des projets, de contribuer à la vie commune, pour véritablement faire l’expérience de leurs vertus et de leurs talents comme les y appelle la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Qu’attendons-nous exactement de l’école ?

Enfin, ces péripéties révèlent la profondeur de la défiance qui s’est installée entre les Français et leur école. Bien davantage que des querelles d’experts, le choc des savoirs veut d’abord incarner la fin d’un égalitarisme dont les classes moyennes estiment avoir payé le prix.

L’école a trop largement ignoré les désillusions de la réussite pour tous pour une majorité de familles laissées pour compte entre des grandes écoles réservées à une élite et des politiques éducatives dédiées aux plus fragiles. Ces inquiétudes se traduisent par la recherche de garanties et expliquent largement l’attrait du privé : à l’entrée en 6ème, la part des enfants scolarisés dans les écoles privées grimpe brusquement de 17 à 24 %.

Au-delà de l’opposition entre public et privé, c’est toute l’école qui est prise au piège d’une ambiguïté : est-elle d’abord conçue pour éduquer ou pour sélectionner, pour l’excellence ou pour l’égalité ? Si nous voulons préserver une ambition commune, il faut reconnaître l’impasse dans laquelle nous a conduit l’objectif de 80 % d’une génération au baccalauréat. En revanche, cela suppose de doter 100 % des enfants des outils théoriques, pratiques et relationnels pour qu’ils puissent saisir leur chance. Enfin, cela suppose d’assumer une nécessaire et saine compétition pour que se rencontrent les talents de chacun et les besoins de notre société.

Si le nouveau brevet permet de mieux distinguer ce qui relève de l’éducation garantie à tous et ce qui appartient au destin de chacun, alors tout ceci n’aura pas été vain. Espérons-le.

Retrouvez l’article sur le site des Échos : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-que-peut-on-esperer-du-choc-des-savoirs-2132173