Publié fin juin, le rapport annuel de la médiatrice de l’Éducation nationale met en lumière une crise de confiance grandissante envers l’école. Les enseignants souffrent d’un climat scolaire de plus en plus tendu et d’une « culture du rapport de force ». Les relations entre parents et équipes éducatives se dégradent, amplifiant les incompréhensions autour des enseignements et des examens.  

Le rapport souligne l’urgence de renforcer le dialogue et la collaboration entre familles et enseignants pour restaurer la confiance des familles dans le système éducatif. 

Catherine Becchetti-Bizot, nommée médiatrice de l’Education nationale en 2017, est chargée de résoudre les conflits ou contestations exprimés par les usagers et administrateurs de l’école. Cette fonction de médiation a été instaurée en 1998 et chaque année au début de l’été, le rapport émanant de son représentant dresse un bilan de santé de l’école. 

Or les chiffres de l’année 2023 sont ceux d’une école en difficulté, marquée par une vulnérabilité croissante des personnels et par les difficultés et l’incompréhension des familles. Ils témoignent d’une crise de la confiance vis-à-vis de l’école. Ils incitent, plus que jamais en cette rentrée, à instaurer un dialogue parents-élèves.

Ils incitent, plus que jamais en cette rentrée, à instaurer un dialogue parents-élèves. 

Les enseignants face au « rapport de force » permanent e de la société

Dans les faits : 20 400 saisines ont ainsi été traitées par les médiateurs, soit une augmentation de 12 % en un an.

20 400 saisines ont ainsi été traitées par les médiateurs, soit une augmentation de 12 % en un an.

Le chiffre augmente de 18% pour ce qui est des saisines émanant exclusivement des personnels de l’éducation… Et parmi ces dernières, celles qui font état d’un mal-être ou d’une souffrance au travail ont augmenté de 78% en 5 ans.  

Le sujet n’est pas nouveau, mais les chiffres sont désormais implacables : les enseignants expriment une fatigue grandissante ainsi qu’un « besoin croissant de protection et de réassurance ».  

La question financière demeure prégnante puisqu’elle concerne un tiers des saisines. Mais une « culture du rapport de force » semble être devenue centrale. La médiatrice décrit une « dégradation du climat scolaire », un « contexte sociétal » qui s’est « considérablement tendu depuis quelques années, marqué par des phénomènes de violence, d’agressions verbales ou physiques et d’incivilités »

Les familles contre l’école 

Ces incivilités et agressions n’émanent pas tant des élèves entre eux et envers les professeurs que des familles ! Depuis quelques années, les syndicats enseignants font état de relations de plus en plus tendues avec les parents d’élèves.  

Les contestations des familles portent principalement sur :  

  1. la nature et le fondement même des enseignements : la médiatrice identifie un nombre croissant de ce type de réclamations, qui « portent atteinte à l’autorité et à la légitimité des enseignants, mais mettent aussi en difficulté les personnels de direction ». Les enseignants « se sentent trop souvent mis en cause dans l’exercice de leurs missions », notamment dans le cadre des enseignements transversaux : laïcité, citoyenneté, égalité homme-femme, vie affective et sexuelle… Autant de sujets sensibles pour lesquels les enseignants sont insuffisamment outillés et qui laissent la part belle aux polémiques. 
     
  1. la réglementation des examens : les difficultés et l’incompréhension de nombreuses familles à l’égard de la notation s’accroissent. « Ce n’est pas possible que mon fils ou ma fille ait eu une note aussi basse » entendent de plus en plus régulièrement les enseignants – ce qui dit aussi l’importance croissante de la note aux yeux des parents. Ces derniers jouent le jeu d’un système de plus en plus compétitif.  

À titre d’exemple, l’incompréhension des parents face à Parcoursup illustre la manière dont les familles, confrontées à un système ultra-complexe voire opaque, expriment unanimement colère ou lassitude. Des sentiments qui incitent les familles qui en ont les moyens de faire usage de systèmes parallèles (coaching, écoles hors parcours-sup, universités à l’étranger), non sans dénigrer directement ou indirectement le système scolaire.

Les liens parents-équipes éducatives doivent absolument être améliorés 

En tout état de cause, ce signal d’alarme doit être entendu. La nécessité d’une meilleure prise en compte de la vulnérabilité des personnels et le développement de la formation des enseignants sont appelés des vœux de la médiatrice. Ce sont des conditions nécessaires à une amélioration de la situation présente, mais pas suffisantes. Un système scolaire qui se construit sans les familles, ou contre elles, n’est ni durable ni souhaitable. 

Un système scolaire qui se construit sans les familles, ou contre elles, n’est ni durable ni souhaitable. 

Car les élèves sont les premières victimes de ce rapport de force. Il effrite l’autorité, fragilise les repères stables et cohérents dont le jeune a besoin pour progresser et prendre confiance. Ce chantier de “réconciliation” n’est pas aisé. L’école et le foyer familial sont souvent régis par des règles différentes. Dans un nombre non négligeable de cas, la relation famille-école confine à la méfiance, voire à l’accusation. Un constat d’autant plus aigu qu’il concerne les parents qui ont eux-mêmes vécu une expérience difficile à l’école, comme le démontre magistralement l’étude d’ATD quart monde de 2008 consacrée aux relations de l’école avec les familles pauvres

Voir l’article de VersLeHaut : L’école exerce-t-elle une autorité abusive sur les familles les plus fragiles

La médiatrice ne pouvait mieux formuler les choses : pour « restaurer l’autorité », une « alliance éducative avec les parents » est nécessaire, qui ne peut se faire que sur la base de liens de confiance. « C’est une difficulté qui semble aujourd’hui très difficile à surmonter et nécessite sans doute, au-delà d’une volonté politique forte, une adhésion de l’ensemble de la communauté éducative et l’appui de professionnels spécifiquement formés»

« C’est une difficulté qui semble aujourd’hui très difficile à surmonter et nécessite sans doute, au-delà d’une volonté politique forte, une adhésion de l’ensemble de la communauté éducative et l’appui de professionnels spécifiquement formés»

souligne le rapport. 

Alors par où commencer ? 

L’institutionnalisation de la place des parents à l’école est une piste encore trop peu explorée en France. Un rapport ISPOS pour le groupe de formation Bizness, 49% des personnes interrogées jugeaient le système éducatif français « inadapté » en ce qui concerne la place et le rôle accordés aux parents d’élèves1. Sur ce sujet, la France est très en recul par rapport à ses voisins européens comme le Portugal ou l’Italie. 

Trois dispositifs existent pourtant et mériteraient, entre autres, d’être valorisés : 

  • Encore trop peu exploitée, la Mallette des Parents propose des ressources concrètes, accessibles en ligne, destinées aux parents. Elle pourrait par exemple, être systématiquement présentée lors des réunions d’accueil des parents. 
  • Resté lettre morte dans la majorité des établissements, l’espace parents, pourrait créer un lieu de coopération au sein de l’école. Pour fonctionner, il doit être incarné : le lieu doit être accessible, correspondre aux horaires des parents. Pourquoi ne pas imaginer une salle des profs proche de l’entrée de l’établissement et ouverte aux heures d’ouverture et de fermeture, un café systématiquement proposé à ceux qui ont une requête ou un besoin ? 
  • Les Réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (REAPP), existant depuis 1998, mettent à disposition des parents des services et des moyens : rencontres et échanges entre parents, accompagnement de projets familiaux, soutien psychologique, actions culturelles, sorties familiales… Les REAAP se sont mis en place dans les 100 départements, sous des formes diverses, qui sont le reflet des relations entre les acteurs départementaux du soutien à la parentalité dans chaque département. 

Voir nos propositions et pépites éducatives sur ce thème dans notre étude « Le sens de l’autorité ». 

Le cadre permettant l’implication des familles doit être pertinent. Et lorsque les modalités du dialogue fonctionnent, il revient à la direction, aux enseignants et aux parents, de les soigner, pour que la relation se pérennise. Ces espaces virtuels ou matériels destinés aux parents et prévus par la loi dans les écoles, représentent une opportunité précieuse à explorer.  

Rappelons que l’implication des familles dans la scolarité de leurs enfants mérite d’être valorisée, elle est fondamentale.

Elle ne doit pas être considérée comme un frein dans l’instruction de l’enfant mais comme un immense atout pour sa réussite. Il s’agit d’ailleurs de l’un des trois facteurs identifiés par PISA comme étant à l’origine des systèmes éducatifs les plus performants2
 

VersLeHaut continue d’explorer la question de la coopération éducation dans son étude portant sur la confiance, à paraître cet automne. Suivez-nous sur les réseaux pour ne pas manquer sa parution ! 

Camille De Foucauld, Cheffe de projet chez VersLeHaut

[2] OECD (2023), PISA 2022 Results (Volume I): The State of Learning and Equity in Education, PISA, OECD Publishing, Paris, https://doi.org/10.1787/53f23881-en 

[1] Ipsos, « Enquête sur l’enseignement et l’éducation en France », BIZNESS, 9 septembre 2021