Geneviève De Foucauld

Geneviève œuvre dans le secteur de la protection de l’enfance depuis plus de 15 ans. Elle en connait tous les rouages. C’est avec conviction qu’elle décide d’ouvrir un lieu de vie et d’accueil en Sologne, sur ses terres d’origines. 

Geneviève avait onze ans lorsqu’elle a imaginé son premier lieu de vie et d’accueil. C’était dans les grands cahiers qui trainaient sur le bureau de son grand père qu’elle a rêvé, comme on joue à la poupée, un lieu d’accueil. Quarante ans plus tard, elle ouvrira la Maison des Bois, un lieu de vie et d’accueil qui héberge des enfants et adolescents en situation de vulnérabilité. 

De la pension au lieu de vie 

Après le décès de sa mère, Geneviève le dit elle-même « j’ai été ballotée à droite à gauche », une année en pension, deux ans chez sa tante, un an chez des amis, puis chez son oncle, et à 16 ans dans une chambre de bonne. La majorité passée et le baccalauréat en poche, elle enchaine 7 années de « galères et petits boulots » tout en donnant naissance à deux enfants.  

Le tourbillon de la vie l’amène à devenir directrice d’un établissement médico-social, et découvre qu’elle est à sa place. Formidablement accompagnée, elle a pu cultiver ce qu’elle appelle sans prétention son « talent », c’est-à-dire sa « capacité à avoir une vision synthétique d’une situation complexe, à poser un diagnostic et à trouver la direction à prendre ». 

Et finalement, il y a 7 ans, au lendemain de son mariage, elle décide d’ouvrir un lieu de vie avec son mari, Iohan, qui la suit dans cette nouvelle aventure. 

La Maison des Bois : un lieu de vie et d’accueil « sur mesure » 

Un lieu de vie et d’accueil est une structure sociale qui accueille et héberge enfants et adolescents en situation de vulnérabilité. Il s’est construit en alternative aux structures d’accueil traditionnelles (familles d’accueil ou maison d’enfants à caractère social) et met l’accent sur un accompagnement personnalisé, « sur-mesure ». Chaque lieu a sa particularité, et est profondément incarné par ses fondateurs.  

Celui de Geneviève, par exemple, créé avec son mari, Iohan, privilégie sur un environnement familial. En s’installant en Sologne, sur ses terres d’origine, Geneviève retrouve ses racines qui lui tiennent particulièrement à cœur. Alors la Maison des Bois – nom attribué à son lieu de vie et d’accueil – doit être cet endroit sécurisant, apaisant et structurant, ouvert sur le monde, pour faire grandir l’enfant.  

Geneviève et Iohan, ou plutôt Nasa et Nasu1 pour les enfants, sont les fondateurs mais aussi les responsables et résidents permanents de la Maison des Bois. Ils incarnent la permanence du lien, une valeur fondamentale aux lieux de vie qui se caractérisent par le fait de vivre dans la même maison que les enfants. Par cette valeur, ils proposent un mode d’être et de vivre ensemble différent de ce que les enfants ont connu auparavant. Et même si ces derniers le rejettent, « ils sauront que ça existe », que d’autres manières de vivre ensemble sont possibles. 

« Je suis mon propre outil de travail » 

Les fondateurs de ces lieux ont tous un vécu, comme s’ils commençaient une deuxième vie. Il est évident qu’ils ont chacun leur spécificité à apporter aux enfants placés. Iohan et Geneviève ont balbutié un peu avant de trouver. « On a fini par comprendre que la nôtre était celle de pouvoir accompagner les enfants carencés, ceux qui n’ont rien reçu. »  

Les adultes peuvent aider ces enfants à se réparer seulement s’ils font face à leur propre réparation avant. Pour Geneviève, « la priorité c’est mon équilibre, parce que si je ne vais pas bien alors les enfants ne vont pas bien ». D’autant plus que ces derniers repèrent très bien les failles des adultes. Geneviève et Iohan se font toujours accompagner, notamment par une ancienne directrice de MECS2

Mais ils restent des humains, et ont parfois des faiblesses. Dans ces métiers, la personne (le vécu, le corps, la personnalité) constitue l’outil de travail, alors Geneviève n’hésite pas à montrer ses imperfections aux enfants pour casser l’image lisse et parfaite des institutions. Ils sont trop habitués à grandir et interagir avec des « fonctions » (psychologues, éducateurs spécialisés, enseignants…) plutôt qu’avec des « humains ».  

Leur surnom n’est d’ailleurs pas choisi au hasard. Être une marraine et un parrain, c’est un peu ce qu’ils essayent de faire, « pallier comme [ils peuvent] un empêchement parental de quelque nature qu’il soit » me l’explique Geneviève. 

Être un porte-avion pour ces enfants 

Tous les enfants de l’ASE3 souffrent de troubles de l’attachement. Ces troubles sont généralement le fait de lien insécure avec la personne qui prend soin d’eux, souvent la mère, au moment de la petite enfance. Lorsque ces troubles débordent, cela devient problématique.  

Mais quel que soit l’enfant, tous ont besoin d’un « porte-avion »4 pour grandir en sécurité. Il s’agit généralement des parents, mais lorsqu’ils sont déficitaires, cela peut être les grands-parents, les oncles et tantes, ou, à défaut, des adultes de l’ASE.  

En grandissant, ils ont moins besoin d’amour, une distance se crée dans laquelle ils vont épanouir leur responsabilité. Il reste nécessaire de leur offrir un cadre sécurisant, avec une réponse adaptée et constante, c’est le rôle du « porte-avion ».  

Si le porte-avion sécurise bien, le petit avion peut s’envoler en commençant par de petites excursions avant de se déployer pour de bon ! 

« Faire de la dentelle »  

« On ne fait pas de l’éducation mais de l’éducation spécialisée ». Sans se substituer aux professionnels de santé, Geneviève explique qu’il faut leur porter un regard clinique pour pouvoir s’adapter à la particularité de chaque enfant tout en restant sur l’éducatif. Le lieu de vie devient l’épicentre d’une coopération entre les différents professionnels.  

L’adaptation est à son maximum à la Maison des Bois. Geneviève me raconte qu’elle se fait livrer un dentifrice d’Inde pour essayer de sauver les gencives d’une des filles et Iohan explique être dans une forme d’« expérimentation permanente ». Que ce soit dans le comportement à adopter comme dans la réponse à donner : il faut inventer au fur et à mesure.  

Derrière chaque geste, chaque action, se cache une intention éducative. Elle raconte le cas de Dylan5 qui rentrait tous les soirs de l’école avec le sac à dos plus rempli que le matin. Elle s’est aperçue qu’il volait des jouets. La réponse fut éducative : rendre les jouets, s’excuser auprès de chaque élève. Puis clinique : comprendre pourquoi il a agi de cette façon et trouver des solutions (souvent uniques) à ce comportement. La réponse n’est jamais punitive.  

Un semblant de normalité pour des enfants « hors normes » 

C’est en pensant chaque action avec une intention éducative que le quotidien devient un outil de travail. Iohan et elle ont pour but de permettre à ces enfants de vivre une vie la plus normale possible en sachant que la seule normalité que ces derniers souhaitent est celle d’être avec leurs parents.  

Les exigences du lieu de vie peuvent apparaitre comme de l’ordre du « tellement normal » (faire son lit, ranger sa chambre…), alors même qu’elles sont souvent vécues comme une forme de maltraitance par ces enfants placés.  

Un constat émerge ces dernières années : ces enfants sont parfois devenus consommateurs de leur accueil et ne sont pas assez préparés à la vie d’adulte. Il faut aussi, malgré tout, qu’ils acquièrent le sens de l’effort et prennent conscience de la valeur du travail à la Maison des Bois.  

Leur argent de poche est conditionné par leur implication dans la vie de la maison par exemple. A la fin du repas, alors que les enfants se préparent à partir en vacances, Nasa fait le bilan. « Pensez-vous mériter votre argent de poche ? l’intégralité ou une partie ? ». Les enfants sont honnêtes, en énonçant ce qu’ils pensent mériter. Cela correspond.  

Jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus  

« On fait des lieux de vie en fonction de ce que nous sommes et de ce que nous pouvons apporter aux enfants qu’on accueille. » Il leur arrive de refuser des enfants que l’ASE veut leur confier lorsqu’ils considèrent ne pas avoir les compétences nécessaires.  

Il leur arrive aussi de se séparer d’un enfant avant sa majorité. Geneviève identifie trois cas de figure. Le premier est celui d’une transgression massive de l’enfant, ce qui arrive très rarement. Le second, lorsqu’elle sent que Nasu et elle sont arrivés au bout de ce qu’ils peuvent apporter à l’enfant. Le dernier, quand il apparaît que la Maison des Bois n’est plus l’endroit où il peut le mieux s’épanouir.  

Et parfois ils gardent un jeune même après la majorité. Comme Sarah qui est partie à 20 ans pour un centre d’accueil de jeunes majeurs en ville. Un lieu plus adapté à la construction de sa vie de jeune adulte.  

Les jeunes ont tendance à chercher une rupture douloureuse, même lorsqu’ils aiment les gens qui les accueillent. « Ce sont des métiers souvent décourageants » dit Geneviève pourtant investie et engagée qu’importe les difficultés. Les éducateurs plantent des graines sans savoir si elles vont germer.  

Alors pour prévenir la rupture avec le lieu de vie, Nasa et Nasu mettent de plus en plus en place un système de parrainage. Ce sont des personnes qui connaissent les enfants, qui gravitent autour de la Maison des Bois et avec qui ces derniers ont accepté de nouer une relation de confiance.  

Les enfants savent qu’ils vont partir un jour, mais ont conscience que Nasa et Nasu, eux, vont rester. « un des enfants, en partant, m’a dit : « un jour Nasa, je reviendrai, et quand la voiture s’arrêtera devant le portail, Nasu sera heureux de me revoir ! », « et c’est vrai » raconte Geneviève. 

Portrait réalisé par Alexanne Bardet