Ludovic Mizitrano
Ludovic Mizitrano est professeur d’une classe de CE1 à Bobigny, en plein coeur de Seine-Saint-Denis. Marie, son épouse, a la charge d’une classe de grande section de maternelle dans la même cité scolaire. Depuis qu’ils exercent ce métier, l’école s’est transformée, traversée par les grandes réformes de l’Education prioritaire, les dommages du confinement, et un besoin renforcé de coopération entre enseignants, parents et éducateurs.
Une évidence
À l’instar d’un grand nombre d’enseignants, Ludovic a connu une première carrière avant de changer de parcours. Tout oppose le métier de commercial à une classe de primaire mais il effectue sereinement ce grand écart. Après cette brève expérience en entreprise, il choisit de s’orienter vers le métier qu’a exercé sa mère, celui qu’il a côtoyé quelques années plus tôt en tant que surveillant et animateur de centres de loisirs. Une place l’attendait au sein du corps enseignant et sur les bancs de l’IUFM1 , il rencontre Marie, qui deviendra sa femme.
Tous les deux, depuis 13 ans, exercent « avec ferveur » le métier énergivore de professeur des écoles en Éducation prioritaire. Leur parcours, loin d’être toujours paisible, se déroule pourtant sans coupures, ni signes d’usure.
« On est arrivés là parce qu’on était jeunes »
A l’époque où ils ont embrassé cette carrière au début des années 2010, le sigle ZEP2 n’évoque pas grand-chose au quotidien. Le découpage social et scolaire qui en découle implique une meilleure association de ces établissements particuliers aux politiques de la ville, mais l’impact dans les classes est relatif. « On ne savait pas vraiment si on était en ZEP ou pas. On ne choisissait pas son établissement en fonction de cela. On est arrivés là parce qu’on était jeunes ».
En une dizaine d’années, par un renouveau des conditions d’exercice, le métier d’enseignant en Éducation prioritaire est devenu une fonction spécifique. La prime associée à ces territoires a significativement augmenté. Depuis 2017, les petites classes sont dédoublées : Ludovic et Marie sont donc chacun responsable d’un groupe-classe de 12 élèves. Une réforme qui les a amenés à refondre entièrement leurs pratiques pédagogiques ces dernières années.
Les dispositifs REP soutiennent le travail des enseignants
« Ce fut bien un choix de rester en Éducation prioritaire », confient Ludovic et sa femme. Alors qu’une affectation proche de leur domicile se profile, ils la refusent et décident de poser durablement leurs bagages à Bobigny. C’est en discutant avec des collègues d’autres établissements qu’ils mesurent la richesse de ce que recouvre le label.
Les classes dédoublées par exemple, facilitent largement la mise en place de ces projets qui pour beaucoup ne sont pas réalisables avec 25 ou 30 élèves. L’éducation artistique et culturelle s’épanouit au sein de ces petits groupes, qui laissent la place à une relation directe avec l’enseignant et favorisent les échanges entre élèves. Et dans ce climat où la communication est fluide, les enfants se sentent en confiance, plus libres d’interagir et de se déplacer. Les plus introvertis osent lever la main. L’attention de l’adulte est plus vive envers chacun d’entre eux. Pour Ludovic, l’impact est mesurable sur les progrès en lecture. « Cette année, en CE1, tous mes élèves étaient lecteurs. C’est rare. C’est une conjonction de circonstances, mais cette nouvelle organisation a joué positivement ».
À l’école primaire, les salles de classes sont désormais configurées comme celles de maternelle : avec des espaces consacrés à la graphie, à la lecture, aux maths. La continuité est renforcée, l’arrivée en CP est moins vertigineuse pour les enfants qui peuvent encore se mouvoir sur des temps d’autonomie.
Enfin, les projets qui foisonnent entre les murs de l’école la placent au centre de la ville. Marie est responsable Éducation au développement durable, en lien avec la mairie qui a mis à disposition un référent écologie auprès des écoles REP3. Un jardin pédagogique est apparu4. Une association de quartier a apporté son appui, ainsi que des parents volontaires, venus désherber avec les élèves. Pour ce projet, la classe du SEGPA5 du collège a construit des bacs où l’on a planté des fraisiers.
L’inclusion est plus qu’un défi, c’est un obstacle
« C’est très compliqué, pour tout le monde » répond immédiatement Ludovic quand on le questionne au sujet de l’Éducation inclusive, soit la prise en compte des enfants porteurs de handicap à l’école. Des enseignants rompus à l’exercice du métier étaient, cette année, sur le point de craquer.
Il faut du temps avant de diagnostiquer les troubles d’un enfant, du temps pour qu’il soit accompagné par une AESH6 quand c’est nécessaire, du temps encore pour savoir quoi mettre en place pour l’aider. « On a besoin de psys, de kinés, de professionnels de santé autour de nous. On peut centraliser les informations sur la prise en compte de l’enfant, mais on ne peut pas porter toutes ces casquettes ».
Ludovic évoque également les conséquences du confinement sur les jeunes enfants. Certains d’entre eux ont été aspirés par les écrans pendant cette période : ils en viennent parfois à ne plus savoir dissocier un trouble de l’attention et de l’hyperactivité (TDAH) d’un usage excessif des écrans. La sensibilisation aux dangers du numérique est devenue un moment incontournable lors des rencontres avec les parents. « Depuis le confinement, une partie de notre métier est de livrer bataille contre les écrans ». Presque tous les rendez-vous sont des occasions de leur rappeler de « réduire, réduire, réduire », de « ne rien lâcher, même si on sait que c’est une solution de facilité ».
L’investissement des enseignants est le coeur battant d’une école
Les professeurs comme Marie et Ludovic sont nombreux à se consacrer à leur établissement sans compter leurs heures, à repousser au plus loin les limites de leur engagement au rythme des années. Ils ont pris ancrage dans une équipe pédagogique autour de laquelle les enseignants contractuels et remplaçants, assez nombreux, gravitent en continu. Avec ou sans Éducation prioritaire, affirment-ils, l’important est la stabilité et l’investissement des équipes. Car pour générer ce dynamisme, il est indispensable de pouvoir compter sur un groupe de professeurs soudés.
L’expérience des plus anciens est le terreau du décloisonnement des classes. Sauf exception : certains enseignants, enlisés dans leurs habitudes, sont averses au changement. Mais ils sont encouragés par d’autres, qui proposent de garder ouvertes les portes de la classe. En fonction des emplois du temps et des matières, les élèves rejoignent des groupes interclasses, sous l’égide d’autres professeurs que le leur. Un travail en équipe s’impose en filigrane : les enseignants s’accordent sur la constitution des groupes en fonction des niveaux, sur la répartition de certaines matières (anglais ou sport), sur un projet de fin d’année commun. « Cette organisation suppose une bonne ambiance, une bonne alchimie entre collègues. Ça nous incite à nous lancer, à sortir de notre zone de confort, à progresser ».
Quand un nouvel enseignant débarque, surtout quand il débute ou qu’il est contractuel, Ludovic et Marie viennent systématiquement l’aborder. Leur rôle, disent-ils, est de se soutenir, de se rappeler que la patience vient avec l’expérience, et que c’est dans le partage des pratiques que l’on trouve un second souffle.
Portrait réalisé par Camille de Foucauld