Marine Jannarelli
Marine Jannarelli vient d’avoir 25 ans, elle a vécu toute sa jeunesse à Saulx-les-Chartreux dans le 91. Après une réorientation postbac, elle se dirige vers son choix de cœur : Sciences Techniques des Activités Physiques et Sportives, STAPS. Elle s’engage rapidement dans les associations étudiantes jusqu’à prendre une année de césure pour s’y consacrer pleinement.
De ses nombreux combats, il en est un que Marine mène quotidiennement : l’inclusion sociale des personnes en situation de handicap dans et par le sport. Comment dépasser l’utilité sanitaire d’une pratique sportive pour en exploiter pleinement ses possibles éducatifs ?
VersLeHaut : Vous avez été réserviste pendant 3 ans, vous vous êtes aussi investie dans plusieurs clubs sportifs, vous êtes encore dans une association de Saulx-Les-Chartreux, on peut donc aisément dire que vous connaissez les différentes facettes de l’engagement. Ça donne envie de savoir d’où vient cette grande place que vous lui accordez, vous nous racontez ?
Marine Jannarelli : Je me suis construite petit à petit. Déjà élève, j’étais déléguée de classe. J’ai toujours été très scolaire, alors ceux qui avaient cette liberté d’être des « perturbateurs » m’ont toujours fascinée. J’ai commencé à vouloir montrer ce qu’ils avaient de bien, tout en donnant la parole à ceux qui ne pouvaient pas forcément se défendre ou prendre position pour eux-mêmes. Je me suis rendu compte du rôle essentiel des pairs.
Ce n’est pas qu’à l’école ou dans les clubs de sport que mon engagement s’est construit. Ma mère y a largement contribué aussi, elle incarne l’engagement à mes yeux. Elle s’engage pour des causes, des injustices. Elle a fait de son émotivité une force. Ses faiblesses la rendent plus forte. Elle en est à son 4ème cancer, mais garde un dévouement et une joie de vivre immense. Dès que quelqu’un a une difficulté, elle va tout de suite réagir, parfois même avant de réfléchir.
VLH : Vos engagements, très divers et variés, se sont progressivement recentrés autour du sport, comment l’expliquez-vous ?
M.J. : J’ai fait beaucoup de choix sous l’impulsion de mon entourage. Après le lycée, j’ai d’abord suivi mon choix de raison : aller en prépa ingénieur. J’ai tenu 1 an. C’est cette même année d’ailleurs que je me suis engagée dans l’armée, en tant que réserviste. Ma famille me voyait pilote, parachutiste, ingénieur dans l’armée…
Au bout d’un an, je me suis rendu compte que je me battais contre mes propres envies. Je ne voulais pas regretter ma vie future en la passant là où je ne m’épanouissais pas, alors j’ai arrêté. Mes parents m’ont soutenue et m’ont accompagnée dans ma réorientation. Comme j’ai toujours fait du sport (du handball, du rugby…) et que le monde du sport et des sciences m’attirait, c’est tout naturellement que je me suis tournée vers mon choix de cœur, STAPS. J’ai tout fait pour alimenter mon dossier, passé le BAFA1, repris le rugby… Et j’ai été prise.
En entrant en STAPS, je me suis immédiatement engagée dans les associations universitaires : sportive en première année, vie des étudiants en deuxième année, présidente de l’association étudiante de mon campus durant mes deux L32(une première L3 en Activités Physiques Adaptées et Santé, et une deuxième L3 en Management du sport). Maintenant, je suis en master Prévention, éducation pour la santé, activité physique (PESAP) et impliquée à l’ANESTAPS.
VLH : Est-ce qu’on peut dire que STAPS est une filière de l’engagement ?
M.J. : Lorsqu’on annonce vouloir faire STAPS, il est courant d’entendre qu’on veut être des « profs de sport ». Outre le fait qu’il soit plus juste de parler de professeur d’EPS (Education Physique et Sportive), les études en STAPS offrent un panel bien plus large de métiers – et d’engagement, possibles.
Beaucoup d’étudiants arrivent en ayant déjà le BAFA (brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur) et beaucoup passent des certifications comme le BNSSA (brevet national de sécurité et de sauvetage aquatique) ou le diplôme pour devenir sapeur-pompier. Ceux qui n’ont pas déjà le BAFA, valident une équivalence en fin de L2. On a ce face-à-face pédagogique qui nous permet d’acquérir les compétences d’animateur.
Le monde du sport est aussi un monde où le bénévolat est omniprésent. Nombreux sont les sportifs, anciens sportifs qui ont donné de leur temps pour le club dans lequel ils ont évolué (tenir la buvette, entrainer les tout-petits, participer au loto du club…).
STAPS donne accès aux sciences du sport et permet de comprendre que le sport peut être un outil éducatif puissant autant qu’un lieu où les inégalités existent. Avec l’ANESTAPS, on veut faire de STAPS une filière qui forme les professionnels à utiliser le potentiel social du sport (éducation, santé, inclusion…).
VLH : Quels sont vos engagements actuels ?
M.J. : Je suis vice-présidente de l’ANESTAPS en charge de l’innovation sociale et de l’inclusion. Pour ma deuxième année à l’ANESTAPS, j’ai fait une année de césure. Je ne voulais pas sacrifier ma scolarité pour mon engagement. Et inversement.
Je ne regrette pas ce choix, car en plus de devoir travailler souvent dans l’urgence, j’ai appris à revenir à une certaine lenteur, prendre le recul nécessaire dans une situation complexe et agir plus efficacement.
Grâce à l’ANESTAPS, je suis aussi dans la fédération 100% handinamique, une expérience enrichissante mais parfois difficile. J’ai un exemple en tête : lors d’une université d’été de la fédération, nous discutions sur l’accessibilité universelle. Une majorité des jeunes de cette université sont en situation de handicap physique. Nos discussions y ont été très optimistes mais le retour à la réalité très brutal. En arrivant à Massy-Palaiseau, on veut prendre le RER mais ni ce dernier ni les infrastructures autour n’ont permis aux personnes en fauteuil roulant d’entrer dans le RER. On en a rigolé après, mais le constat était violent.
VLH : Lorsque l’on pose la question aux jeunes de ce que l’engagement apporte, les deux réponses qui ressortent le plus sont : la confiance en soi (47%) et la capacité à travailler en équipe (44%)3. Qu’est-ce que l’engagement vous apporte ?
M.J. : Pour moi, lorsqu’on s’engage, ce n’est pas que pour soi. En fait, nous nous engageons surtout pour les autres car nous les touchons directement. Alors il est important de trouver sa juste place et au bon moment pour qu’un projet aille dans le bon sens, de manière efficace.
L’engagement m’apprend aussi à rester intègre, fidèle à moi-même, à être vigilante. Comme dirait Spiderman, avoir de grands pouvoirs implique de grandes responsabilités !
Les engagements que j’ai me nourrissent et me passionnent. Quand je suis animée par ce que j’entreprends, je ne vais pas ressentir de fatigue. On donne une énergie mentale et physique vraiment énorme. C’est une forme d’abnégation qui fait qu’on donne tout de sa personne parfois.
VLH : Vous qui parlez de sport comme outil éducatif, comment œuvrer pour permettre, par le sport, l’inclusion et l’accessibilité universelle, que vous défendez ?
M.J. : Permettre l’accessibilité universelle implique de changer de regard : l’idée est de donner les mêmes possibles, que la personne soit en situation de handicap ou non. Pour cela, il faut que l’inclusion soit réelle, et sortir d’un système compensatoire ou d’une impression de nivellement par le bas.
L’EPS est, selon moi, l’enseignement le plus inclusif et le plus émancipateur pour les enfants. Elle permet aux élèves de mieux connaître leur corps avec toutes ses capacités tout en se mouvant dans l’espace. En plus, les professeurs d’EPS sont en première ligne pour découvrir l’élève différemment.
Après, l’objectif serait de donner le choix aux enfants en situation de handicap quant à l’activité sportive à pratiquer. Une fois inclus, ils doivent pouvoir choisir entre une activité en inclusion ou avec des pairs. Cette étape est primordiale pour prendre en considération l’humain avant la personne handicapée.
Le chemin est encore long mais il faut célébrer les petites victoires. Grâce aux jeux paralympiques, par exemple, les enjeux du handicap ont été mis en avant et une avancée indéniable dans l’adaptabilité des nouvelles infrastructures sportives.
VLH : On imagine aisément que l’engagement n’est pas un long fleuve tranquille… Quelle est votre expérience vis-à-vis de cela ?
M.J. : Pour les militants, le moral est au plus bas depuis quelques temps. Le contexte est difficile. Il faut accepter que l’impact ne puisse pas être massif à chaque fois. Accepter aussi de donner beaucoup sans en voir forcément les résultats. Les associations de territoire ont de plus en plus de mal à avoir des jeunes ; les projets ne prennent plus. Il y a une grosse remise en question sur les formes d’engagement.
Alors la tentation est grande de penser que l’engagement militant est de moins en moins attractif chez les jeunes. Mais en creusant, on se rend compte que de nombreux étudiants ne peuvent plus s’engager de manière régulière. Ils sont de plus en plus à avoir des petits boulots à côté, notamment à cause d’une précarité grandissante. Ils continuent à donner de leur temps mais de manière ponctuelle : 2h de temps en temps, repartager un post… C’est aussi de l’engagement.
VLH : Et vous, personnellement ?
M.J. : Grand sujet. Je pense que l’engagement enrichit personnellement et socialement mais il peut fragiliser économiquement. C’est un tel dévouement, ça a quelques conséquences. Les risques de dérive existent et pour ne pas y tomber, je réapprends progressivement à prendre du temps pour moi, pour mes proches. Mais j’ai aussi pu découvrir des personnes formidables, comme mon copain par exemple !
Et puis, je vis à Montrouge dans les maisons de la FAGE, dans des chambres de 6. Alors forcément, l’intimité n’est pas quelque chose d’évident à avoir. Pourtant j’essaye de faire le minimum en m’offrant des moments à moi, faire des choses pour moi de manière plus lente. Me rappeler que j’existe.
Propos recueillis par Alexanne Bardet