Qu’on le veuille ou non, nos vies sont devenues numériques. Doit-on pour autant laisser ce numérique « envahir » le domaine de l’éducation ou, au contraire, le sanctuariser ? Alors que les Suédois avaient fait figure de pionniers avec un virage numérique radical pris il y a maintenant 15 ans dans l’éducation, les derniers résultats de l’enquête PIRLS (enquête internationale sur les compétences en lecture) les amènent aujourd’hui à douter de ce choix. Quelques éléments de diagnostic dans le cas de la France.
La crise sanitaire : enseignements d’un basculement numérique
La crise sanitaire a brutalement fait basculer l’éducation en France et dans le monde entier dans du 100% numérique. Cette période exceptionnelle a accéléré la prise de conscience de l’importance du numérique dans l’éducation, plus que la transformation numérique en elle-même.
Cette immersion forcée dans la numérisation de l’éducation a pu être porteuse de certaines opportunités. Ainsi 38% des systèmes éducatifs mondiaux ont apporté un soutien psychologique aux élèves grâce aux outils numériques pendant la crise sanitaire (Éducation : de la fermeture des établissements scolaires à la reprise, UNESCO, 2020).
En France 79% des parents ont eu une conception positive de l’utilisation du numérique pendant le confinement ( IFOP/SOS Education,2021.).
En même temps, elle a mis en lumière les faiblesses de notre système français dans sa faculté d’adaptation. 76% des parents notent le manque de formation des enseignants et 73% le manque de préparation de l’Education Nationale (L’impact du covid 19 sur l’école : les parents d’élèves expriment leurs inquiétudes, IFOP/SOS Education,2021).
Avec, en fond, le décrochage en 2020 de plus de 900 000 élèves, laissés en souffrance pendant les 3 mois de confinement, soit 7% de l’ensemble des élèves scolarisés en France , Ouest France, Août 2020).
La fracture numérique renforce les inégalités d’accès à l’éducation
Pendant la pandémie, les limites d’un enseignement 100% dématérialisé ont également concerné les inégalités d’accès entre élèves en termes de matériel, de connexion et d’accompagnement.
Une analyse des offres actuelles d’enseignement à distance souligne ces difficultés. Ainsi, le taux de réussite au bac des élèves suivant le CNED n’est que de 30%. Les chiffres relatifs aux nombreux MOOCs qui se sont développés dans l’enseignement supérieur montrent que l’assiduité est très faible et qu’un nombre dérisoire d’étudiants vont jusqu’au bout de la formation.
De quoi remettre un peu plus en question l’étiquette de « digital natives » qu’on s’est un peu vite empressé de coller aux jeunes de la génération Z.
La réalité est plutôt celle d’une grande inégalité socio-culturelle quant à leur maîtrise des outils numériques et leur capacité à les utiliser dans l’apprentissage comme le souligne, par exemple, Julien Boyadjian dans son récent ouvrage Jeunesses connectées : Les digital natives au prisme des inégalités socio-culturelles (Presses universitaires du Septentrion, 2022).
Les besoins avant les outils
Le numérique à l’école n’est pas une fin de soi. Si le numérique peut trouver sa place dans le cadre scolaire, c’est dans sa capacité à répondre au mieux aux enjeux d’un monde en pleine évolution, de former aux nouvelles compétences, de fournir des outils pour accompagner au mieux tous les enfants et les jeunes.
L’évolution pédagogique attendue doit servir de guide aux introductions technologiques. Ainsi, les évolutions du métier d’enseignant – cf. article précédent – peuvent être accompagnées par la mise à disposition de nouveaux outils. La pédagogie différenciée, par exemple, peut être facilitée par des applications de suivi et l’assistance de l’intelligence artificielle. Des matériels pédagogiques adaptés sont d’ailleurs réalisés avec le soutien du ministère de l’Éducation nationale qui a créé le dispositif Édu-up pour soutenir la création de telles ressources numériques.
La EdTech – domaine de la technologie appliquée à l’éducation – peut ainsi contribuer à rendre possible des méthodes innovantes et pensées pour tous les élèves, notamment les enfants à besoins éducatifs particuliers. LearnEnjoy, start-up de l’EdTech, qui propose des applications numériques (de la petite section de maternelle à la 3ème), a même obtenu en 2020 le label Édu-up.
Les outils numériques peuvent également en théorie faciliter la communication et rendre plus facile la poursuite d’un objectif de coéducation. Ainsi, aujourd’hui, une majorité des parents se trouvent plus facilement impliqués dans l’école et dans le parcours scolaire de leurs enfant grâce à l’accès à l’espace numérique de travail (ENT), ou l’échanges de mails.
Cependant, tous les parents n’ont pas la possibilité – manque d’accès ou moindre maîtrise des outils – ou la volonté d’utiliser ces nouveaux modèles de collaboration. En même temps, l’exigence pour l’enseignant d’alimenter ces nouveaux canaux de communication est souvent perçue comme une tâche supplémentaire rentrant en concurrence avec les impératifs de ses missions.
la promesse d’une plus grande implication dans les apprentissages ?
La possibilité de « ludifier » les apprentissages porte la promesse de susciter un plus grand intérêt, donc d’un plus grand engagement, chez les jeunes.
C’est ce que semblait confirmer une étude publiée dans le journal scientifique BMC Medical Education en 2019. Les chercheurs ont évalué l’impact de la gamification au travers de l’utilisation de la plateforme de jeu Kahoot, exercices basés sur des quizz et jeux interactifs. 120 étudiants sur 140 indiquent que la gamification a un impact sur l’apprentissage et le plaisir.
Le jeu peut donc constituer une porte d’entrée en scène précieuse, encore plus bénéfique pour les élèves en échec scolaire car ils atténuent la manière dont ils perçoivent les difficultés qu’ils rencontrent – une possibilité à explorer sans toutefois crier victoire trop vite ! La corrélation entre effort de numérisation et augmentation du niveau scolaire ne pourra être démontrée qu’à moyen terme.