À force de s’imposer comme passage obligé, le diplôme n’est plus une garantie d’insertion professionnelle. Il est même devenu un facteur d’exclusion pour ceux qui en sont dépourvus. C’est ce qui ressort de l’enquête Génération du Céreq à partir des trajectoires des jeunes trois ans après leur sortie de formation initiale.
Pour retrouver l’ensemble des travaux du cycle d’étude en cours : « Le monde du travail, nouvel horizon éducatif ? ». Les conclusions de cette étude seront présentées le 27 mars 2025. A suivre sur notre site et via notre lettre de veille !
De “Passe d’abord ton bac ” à “passe d’abord ton master” !
Plus de la moitié des jeunes de 25 à 34 ans sont désormais diplômés de l’enseignement supérieur, 10 points de plus que la moyenne de l’Union européenne. Le quart sont même titulaires d’un master, record mondial !
Cette “course au diplôme” est l’aboutissement d’un long processus : de 13 ans en 1881, l’âge d’entrée dans le monde du travail passe à 20 ans au milieu des années 1970, pour atteindre 27 ans aujourd’hui. En parallèle, le niveau d’instruction général s’est élevé de manière significative : entre les générations nées en 1950 et en 2000, le taux d’illettrisme a été divisé par quatre, de 12 % à 3 %. Ces vingt dernières années, il a encore été divisé par deux[1].
Alors que s’éloigne le souvenir d’une école réservée à une élite et que la scolarisation est désormais constitutive du développement de tous, l’école occupe progressivement toute la période de l’adolescence et du début de la vie adulte. En 1970, 44 % des jeunes de 17 ans étaient à l’école, 10 % à 21 ans, contre respectivement 95 % et 50 % aujourd’hui.
L’objectif de 80% d’une classe d’âge au baccalauréat formulé par Jean-Pierre Chevènement en 1985 a marqué un autre tournant décisif dans la massification scolaire. Il a produit chez les jeunes et leurs parents une forme d’évidence à poursuivre des études supérieures : en 2020, les effectifs du supérieur ont franchi le cap des 3 millions d’étudiants contre 1 million en 1980 et 300 000 en 1960. Cette progression continue à s’accélérer : le nombre d’étudiants a doublé en France depuis 2008 !
Figure 1 – Nombre d’étudiants par filière (source : CEREQ, 2024)
Le nombre d’étudiants a doublé en France depuis 2008 et plus de la moitié des jeunes d’aujourd’hui sort de l’enseignement supérieur
Un modèle en crise
Cette massification s’inscrit dans une stratégie éducative visant à améliorer l’employabilité des jeunes, notamment dans le cadre de l’objectif européen d’une “économie de la connaissance”. Pourtant, à rebours de l’objectif de montée en gamme de l’économie on observe une divergence croissante entre diplôme et emploi. Pour trois raisons :
- un taux de chômage des jeunes persistant qui apparaît presque incompressible ;
- l’émergence d’un système de “perdants” et de “gagnants” du système scolaire ;
- le déclassement professionnel d’une partie des diplômés.
Lire l’article de VersLeHaut : Orientation, dépasser les contradictions de la réussite pour tous
Un taux de chômage des jeunes plus élevé que la moyenne de l’OCDE
Seuls 35 % des 15-24 ans sont en emploi en France contre 50 % en Allemagne ou 75 % aux Pays-Bas[2]. Malgré une augmentation de 5 points depuis les années 2000, le taux d’emploi des jeunes demeure 7 points en retrait de la moyenne de l’OCDE.
Ce retard à l’entrée sur le marché du travail n’est pas forcément une mauvaise chose sous réserve d’un bon niveau d’insertion et d’une plus forte employabilité. C’est généralement le cas des diplômés de l’enseignement supérieur : d’après l’enquête Génération, ils sont plus de 85 % à occuper un emploi 3 ans après l’obtention de leur diplôme. C’est en particulier le cas de 92 % des diplômés des filières médico-sociales.
Mais, si le diplôme reste un vrai rempart contre le chômage, mais il n’est plus une garantie à l’emploi pour autant : 20% des NEETS (« Not in Education, Employment or Training ») sont diplômés du supérieur[3], mettant en évidence la déshérence d’une partie de la jeunesse, y compris diplômée, face à l’emploi stable.
Si le diplôme reste un vrai rempart contre le chômage, il n’est plus une garantie d’emploi pour autant
Les jeunes pas ou peu qualifiés sont laissés sur le carreau
Les résultats de la France aux objectifs de l’Union européenne pour 2030 sont une illustration marquante d’une France qui scolarise massivement, précocement et longtemps, mais qui échoue à donner du travail aux personnes peu ou pas qualifiées[4].
Figure 2 – Les résultats de la France aux objectifs européens 2030 (source : DEPP, 2018)
On peut voir ici une autre conséquence de la massification scolaire : l’école est devenue de plus en plus compétitive[5]. Pour les non-diplômés, la situation est devenue réellement préoccupante. Seuls 38 % sont en emploi. En France, chaque année, on compte 100 000 nouveaux NEET, soit entre 10 et 15 % de chaque génération… près du double de nos voisins allemands ou hollandais.
L’obtention du diplôme devient, de facto, indispensable car les attentes des recruteurs s’alignent sur cette inflation. Les qualifications scolaires ou professionnelles deviennent un prérequis même pour des emplois temporaires ou peu qualifiés. Des secteurs comme la manutention ou la fabrication industrielle, autrefois accessibles sans diplôme, demandent désormais des certifications ou habilitations spécifiques[6].
L’obtention du diplôme devient, de facto, indispensable car les attentes des entreprises à l’embauche se nivèlent sur cette inflation de certifications du supérieur
Les autres sont souvent “sur-diplômés” par rapport au métier qu’ils exercent
L’étude du Céreq souligne que les jeunes les plus diplômés accèdent à des contrats plus stables, mais aussi qu’une part significative d’entre eux occupe un emploi sous-qualifié par rapport à leur niveau d’études. Ce phénomène de « déclassement professionnel » touche une part croissante des jeunes diplômés au cours des quatre dernières décennies[7].
Cette dynamique a un impact certain sur le sentiment de reconnaissance des jeunes travailleurs : leur investissement personnel dans des études longues et spécialisées, perçu comme un moyen de sécuriser l’avenir, se heurte à une réalité économique qui fragilise leur position sociale. Elle peut alimenter un sentiment de frustration et de déception face à une mobilité sociale qui semble hors de portée : il faudrait en moyenne entre 6 et 8 générations pour changer de classe sociale en France, contre seulement 2 générations dans les pays scandinaves[8].
Il faut en France entre 6 et 8 générations pour qu’une famille change de classe sociale, contre seulement 2 générations dans les pays scandinaves
Le faible retour sur investissement des études et du travail renforce aussi les inégalités, car les milieux favorisés ont davantage accès aux voies et moyens pour se distinguer : expérience à l’étranger, stage valorisant, mobilisation d’un réseau ou formation complémentaire. De façon paradoxale, la démocratisation du diplôme renforce les inégalités culturelles et sociales.
Inversons le paradigme : le rôle décisif du métier dans la formation des jeunes
La course au diplôme apparaît désormais comme une impasse. Le modèle éducatif et les attentes du marché du travail doivent donc évoluer conjointement pour mieux répondre aux besoins des entreprises comme aux aspirations des jeunes, notamment en réhabilitant la place du “faire” dans les apprentissages et les parcours professionnels.
Le modèle éducatif et les attentes du marché du travail doivent évoluer conjointement
Les employeurs ont un rôle déterminant à jouer. Avec la transition démographique qui s’annonce – une baisse de 50 millions de la population active en Europe d’ici 2050 [9]-, les pénuries de recrutement ne feront que s‘accentuer et le marché du travail devra, de toute façon, se transformer. « Quand les entreprises auront compris que c’est dans leur intérêt de communiquer aux jeunes, elles auront gagné la bataille de l’emploi » affirmait un chef d’entreprise pour appuyer la nécessité, pour les employeurs, de multiplier les immersions en milieu professionnel[10].
L’éducation ne relève plus seulement de l’école ou des institutions publiques. Il devient un impératif collectif, engageant entreprises, pouvoirs publics et acteurs sociaux, pour transformer une contrainte démographique en opportunité économique et sociétale. Déjà certaines entreprises commencent à intégrer plus tôt les jeunes en formant sur site.
L’apprentissage est une piste : en 2020, selon le Céreq, 80% des jeunes issus de l’alternance étaient en emploi trois ans après leur sortie d’études, contre 69% des sortants de la voie scolaire. Même si au sortir des “années folles” de l’explosion des contrats d’apprentissage, des dérives sont identifiées, l’apprentissage n’en demeure pas moins un clé pour repenser l’adéquation formation-emploi avec pragmatisme.
L’accueil des jeunes par la voie du stage en est une autre. Parfois anecdotique, l’expérience d’une courte immersion en entreprise peut aussi être déterminante dans un parcours d’orientation. Et souvent le stage se transforme en une véritable école des compétences humaines.
Le métier doit-il supplanter le diplôme ? C’est l’avis plein d’espoir de Laurence Decréau, créatrice du Festival des Vocations[11] : ”on s’avise, un peu tard, qu’un diplôme ne rend pas heureux. Que les sacrosaintes notes prévalant à l’école dans l’orientation ne disent pas grand-chose des talents – et encore moins des goûts – sur quoi repose l’adéquation à un métier. Comment se découvrir un tropisme pour le bois, le métal ou le verre quand on ne touche que ses livres scolaires, ses copies, son ordinateur ? […] Le temps est peut-être venu où, dans nos écoles, l’aspiration à un beau diplôme s’effacera devant le désir d’exercer un métier que l’on aime, choisi au lieu d’être imposé par un carnet de notes. La chose semble évidente en Suisse, où l’on est aussi fier de devenir cordonnier que financier ; ce serait chez nous une révolution. Mais en ces temps de crise climatique, économique et démocratique, c’est de l’éducation que viendra le salut. “
Une tribune à retrouver dans notre prochaine étude ”Le monde du travail, nouvel horizon éducatif ?” !
Camille De Foucauld
[1] Observations Société, 6 May 2024, https://www.observationsociete.fr/articlesanscateg/en-20-ans-la-part-dillettres-a-ete-divisee-par-deux-en-france/.
[2] INSEE, « Enquête Emploi : en 2023, le halo autour du chômage atteint son plus bas niveau depuis 2003 », Insee Première, n° 1956, 30 janvier 2024
[3] Direction de l’Animation de la Recherche, des Études et des Statistiques (DARES). “Les jeunes ni en études, ni en emploi, ni en formation (NEET) : quels profils et quels parcours ?” DARES Analyses, 7 février 2020, https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publications/les-jeunes-ni-en-emploi-ni-en-formation-neet.
[4] Note d’Information n° 24.18. DEPP
[5] Dubet et Duru Bellat, L’emprise scolaire : quand trop d’école tue l’éducation, Presses de Sciences Po, 2024
[6] Agnès Audric-Le Renard et Alice Tanay, Ouvriers et employés non qualifiés : disparités et similitudes sur le marché du travail, Dares Analyses N°47.1, 5 novembre 2000.
[7] Paola, Vanessa et Stéphanie Moullet. « Le déclassement : un phénomène enraciné ». 20 ans d’insertion professionnelle des jeunes : entre permanences et évolutions, édité par Thomas Couppié et al., Céreq, 2018.
[8] Antoine Foucher, Sortir du travail qui ne paie plus, Editions de l’Aube, 2024.
[9] Global Burden of Diseases, Injuries, and Risk Factors Study, 2021
[10] Étude réalisée par le MEDEF et le Collectif Orientation avec Opnion Way, intitulée “Immersions en entreprise : une école des compétences humaines”, novembre 2024
[11] Ce festival qui s’est tenu à deux reprises (2022 à Mirmande et 2024 à Marseille) met à l’honneur la diversité des métiers et savoir-faire, “qu’il s’agisse de travailler le bois, le métal, les chiffres ou les mots”. Ateliers pratiques, dialogues entre professionnels, témoignages, tables rondes et animations rythment ces trois jours. Une occasion unique de découvrir des vocations, d’échanger et de s’inspirer pour mieux envisager l’avenir. Plus d’informations sur https://www.vocationslefestival.com/