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Priorité présidentielle, mère de toutes les batailles, sanctuaire de la République, l’école, ses enseignants et ses élèves se retrouvent bien dépourvus une fois le rideau tombé sur une scène tristement désertée de ses éphémères vedettes. Qu’est donc devenu le « Choc des savoirs » ?
Classes de niveaux et groupes de besoins
D’abord un débat d’experts, qui discutent les mérites comparés de classes de niveaux et de groupes de besoins. Les uns sont voués aux gémonies, les autres plébiscités mais condamnés au destin de vœux pieux, certes prestigieux sous nos latitudes.
Les proviseurs et principaux ont d’emblée pointé l’incohérence entre la souplesse attendue de ces groupes et le fonctionnement concret des établissements. Chaque rentrée est pour eux une course effrénée pour mettre un professeur devant chaque classe, pour déterminer une dotation horaire globale en fonction du nombre d’élèves, pour constituer autant d’emplois du temps en tenant compte des infinies contraintes de chacun, de la circulaire de rentrée, des besoin éducatifs particuliers, des demandes des collectivités. Qui a sérieusement pu croire qu’on allait faire, défaire et refaire cet improbable Rummikub plusieurs fois l’an au gré des progrès des uns et des autres ?
Alors que la France pointe en queue de classement des pays de l’OCDE pour le soutien qu’elle apporte à ses élèves, les groupes de besoins permettraient pourtant de mieux accompagner les apprentissages de chaque élève. Davantage que des slogans, cet objectif nécessite une profonde refonte du collège, en premier rang desquels la redéfinition du service des enseignants. Celui-ci reste se limite en effet à un nombre d’heures de cours hebdomadaires alors que toutes les évaluations montrent que c’est hors-classe que l’école française pêche : formation continue, suivi individuel des élèves, relation avec les familles.
Impuissance publique
Au bilan, la succession de chocs et de lois aussi ambitieuses que peu suivies d’effets ne fait que creuser le gouffre entre le surinvestissement de la décision politique et son impuissance réelle. Les agriculteurs ont occulté les enseignants avant d’être eux-mêmes occultés par une actualité insatiable. Ces désillusions successives nourrissent le désintérêt des citoyens et livre le débat à un affrontement stérile entre une vision monolithique et administrative du service public et celle née de la nostalgie de supposés paradis perdus.
En bref, la montagne a accouché d’une souris et la nouvelle ministre se démène désormais pour apaiser des enseignants électrisés par le vaudeville ministériel. Cette divergence préoccupante entre le verbe de nos édiles et la réalité quotidienne est particulièrement funeste pour nos enseignants comme pour nos enfants. A susciter des querelles doctrinales affranchies des compromis qui naissent de l’action concrète, cette politique du verbe n’aboutit qu’à creuser les clivages : entre classes sociales, entre public et privé, entre égalité et excellence.
Désordre politique et repli domestique
Dans ces conditions, faut-il s’étonner que la mixité recule ? Depuis près de 10 ans, l’effort de mixité sociale dans les écoles publiques correspond à un recul équivalent dans le privé (DEPP, 2022). Cette tendance lourde révèle la fuite des classes moyennes vers l’enseignement privé, en particulier à l’entrée au collège : entre le CM2 et la 6ème, la part des élèves scolarisés dans le privé passe de 17 à 24 %. En bref, plus on force les familles à la mixité, plus elles la fuient. Chez les jeunes eux-mêmes, on retrouve cette tendance au repli : une étude parue en 2022 dans la Revue français de sociologie montre que plus l’établissement est mixte, plus les collégiens choisissent leurs amis dans leur milieu social, en particulier quand s’approche le couperet de l’orientation.
Autrement dit, plus les tribuns se piquent d’unité et de collectif, plus les Français choisissent le repli domestique, comme si chacun avait compris que l’emphase des mots est surtout le signe de leur absence réelle. Déconnectée de la prudence qu’impose le réel, prise au piège de rivalités sans autre perspective que celle de leur propre subsistance, l’action publique devient fauteur de trouble et ferment de divisions dans une société de plus en plus morcelée. Dans ces conditions, qui peut raisonnablement demander aux Français de continuer de confier leurs enfants à une école prise en otage de nos rivalités ?
Le constat de la paralysie publique doit nous amener à envisager un changement résolu de méthode. Il appelle à relativiser la capacité actuelle de l’État à exercer réellement le pouvoir dont notre pays a besoin. Il appelle une plus grande responsabilisation du terrain, des enseignants, des éducateurs, des maires, pour porter notre ambition commune à la rencontre des immenses besoins des jeunes. Le vrai choc dont les éducateurs ont besoin, c’est de cesser ce désordre et de leur faire confiance.
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Guillaume Prévost est délégué général de VersLeHaut, le think-tank dédié aux jeunes et à l’éducation