Depuis la loi de 2018, la libéralisation de l’apprentissage et le développement de l’alternance ont ouvert une période de mutation de l’enseignement supérieur qui n’a sans doute pas fini de livrer ses fruits. Alors que les réformes successives du baccalauréat promeuvent la continuité entre le secondaire et le supérieur, cette dynamique peut-elle se transmettre au lycée ?
De l’apprentissage à l’alternance
Dès les années 1990, la professionnalisation de l’enseignement supérieur fait figure de priorité pour combattre le chômage des jeunes, sur l’exemple du modèle allemand, qui compte plus de 1,5 millions d’apprentis et le meilleur taux d’emploi des moins de 25 ans d’Europe.
Après plusieurs réformes restées largement infructueuses, la loi de 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel ouvre largement les conditions du recours au contrat d’apprentissage et l’accès aux crédits de la formation professionnelle, au travers de la création de France Compétences.
L’ajout d’une aide exceptionnelle aux employeurs dans le cadre du plan de relance a achevé de bouleverser profondément le modèle français de l’apprentissage. : de 2018 à 2022, le nombre d’apprentis passe de 300 000 à 800 000 et pourrait franchir le seuil symbolique du million en 2023.
Mutation dans le supérieur
C’est dans le supérieur que la croissance des contrats d’apprentissage est la plus forte au travers de la multiplication de Bachelors en alternance, financés par la formation professionnelle au travers des contrats d’apprentissage. En 2022, 62% des apprentis préparaient un diplôme de l’enseignement supérieur.
Cette évolution pourrait marginaliser les universités, dont le modèle est fondé sur le lien entre l’enseignement et la recherche, et dont les diplômes apparaissent moins directement reliés aux besoins des entreprises.
L’alternance dans le supérieur concurrence également les écoles, de management, qui disposaient jusqu’alors d’un quasi-monopole sur ce créneau prisé par les jeunes et les familles. Elle présente en effet de solides atouts. Pour l’étudiant, qui acquiert une première expérience professionnelle dès ses études.
Pour l’entreprise, l’étudiant contribuant à coup modique à l’évolution des pratiques. Pour l’économie enfin, puisque 4 alternants sur 10 reçoivent une proposition d’embauche au sein de l’entreprise qui les accueille (APEC, 2017).
Effets d’aubaine et risque d’éviction des plus vulnérables
Les premiers bilans de la loi de 2018 montrent à la fois les effets massifs sur l’emploi des jeunes et un fort effet d’incitation pour les employeurs.
En effet, en sus de l’aide exceptionnelle, l’apprentissage bénéficie d’un cadre fiscal et social très avantageux, qui porte le coût total pour le contribuable à près de 20 Md€ par an d’après l’OFCE.
De ce point de vue, la réforme de l’apprentissage s’est transformée de fait en immense instrument de soutien aux entreprises. Alors qu’il était prévu d’y mettre un terme, l’aide exceptionnelle instituée pendant la crise sanitaire a été reconduite sine die.
Certains économistes pointent les effets d’aubaine dont profitent les employeurs qui auraient de toutes les façons recruté les jeunes compte tenu des tensions grandissantes sur le marché du recrutement des diplômés. Ainsi, dans une récente tribune aux Echos, Pierre Cahuc estime que « 400.000 étudiants sont devenus apprentis sans effet avéré sur leur devenir professionnel, au prix de près de 8 milliards d’euros pour les finances publiques ».
La libéralisation de l’apprentissage risque de réduire le ciblage de la dépense publique vers les jeunes qui en ont le plus besoin et de creuser encore le gouffre entre jeunes diplômés et non-diplômés.
En effet, l’effet de l’alternance sur les perspectives d’emploi des jeunes diplômés de l’enseignement supérieur n’est pas avéré alors qu’il est significatif jusqu’au bac professionnel : en 2021, la proportion des jeunes ayant un emploi 6 mois après leur sortie d’études grimpe à 60 % avec une formation en apprentissage, contre 31 % sans.
L’alternance peut-elle concurrencer le lycée ?
Au-delà de son régime financier attractif, le succès de l’alternance rencontre le souhait des jeunes d’être davantage confrontés à la pratique et au monde professionnel au cours de leurs études. De ce point de vue, il semble exprimer un besoin d’évolution de notre système éducatif largement fondé sur le primat des enseignements théoriques. Les écoles de management ne doivent-elles pas leur attractivité à la place accordée à des stages de qualité qu’elles offrent à leurs élèves ?
Cette complémentarité entre enseignement et pratique, entre théorie et expérience reste peu évidente dans l’enseignement secondaire comme en témoignent les débats sur la réforme du lycée professionnels qui opposent farouchement les partisans de l’enseignement et ceux de l’apprentissage.
Les réformes successives du lycée favorisent la continuité des parcours entre secondaire et supérieur et réduisent l’importance de l’examen final du baccalauréat, notamment au travers d’évaluation en contrôle continu. En 2021, les jeunes achèvent d’ailleurs leur scolarité en moyenne à 21,6 ans (chiffre-clés de l’INJEP).
Dans ce contexte, le développement des cursus en alternance, tels qu’issus des actuels Bachelors pourrait-il se transmettre au secondaire ? Rien ne s’oppose désormais à ce que des écoles en alternance recrutent leurs élèves dès la fin de la scolarité obligatoire à l’issue de la troisième pour leur proposer des parcours intégrés jusqu’à Bac+2/Bac+3.
De tels établissements pourraient alors rapidement constituer une sérieuse concurrence au monopole des lycées. Alors que ces derniers proposent des enseignements figés et segmentés en filières, ces écoles pourraient construire des cursus à la carte mêlant enseignements théorique, professionnels, alternance et expérience d’engagement via le Service civique ou le volontariat européen entre autres.
Le suivi des jeunes pendant 5 à 6 ans permettrait également de mieux suivre les parcours de chacun, par exemple au travers du mentorat ou du développement d’un réseau d’entreprises.