La publication par le ministère de l’Education nationale d’un programme d’éducation à la vie sexuelle, affective et relationnelle suscite les habituels clivages qui prennent en otage le débat éducatif. Pour en sortir, il est impératif de remettre en perspectives les conditions de légitimité de l’Etat éducateur, en premier lieu desquels l’adhésion des familles.
« Nous n’éduquons pas nos enfants à la sexualité ; rassurez-vous, la pornographie le fait à notre place » écrit Israël Nisand, gynécologue et obstétricien[1]. L’éducation à la vie sexuelle, affective et relationnelle (EVARS) répond à la situation alarmante de jeunes laissés trop souvent seuls face aux injonctions sociales et aux légitimes questions que suscite l’adolescence.
La pornographie représente le quart du trafic vidéo sur internet. 90% des scènes contiennent de la violence (rapport du Sénat, 2023). Aujourd’hui, la majorité des jeunes, filles comme garçons, ont accès à la pornographie avant leur première relation sexuelle :
- 2/3 des moins de 15 ans et 1/3 des moins de 12 ans ont été exposées à des images pornographiques (VersLeHaut/OpinionWay 2018) ;
- Au cours d’un mois donné, près de 40% des 12-17 ans se rendent sur des sites pornographiques (Observatoire des plateformes en ligne, Arcom 2024) ;
- Le taux d’utilisation de Pornhub des 12-17 ans est supérieur à celui des majeurs (Observatoire des plateformes en ligne, Arcom 2024).
Catastrophisme ou banalisation ?
Les jeunes disent eux-mêmes que cette exposition précoce affecte de façon avérée leur perception de la sexualité :
- 77% considèrent qu’elle banalise les violences sexuelles ;
- 70% des consommateurs avant 14 ans disent qu’elle inspire leurs désirs (VersLeHaut/OpinionWay 2018) ;
- 25% des femmes et 33% des hommes de 18 à 29 ans ont déjà vécu une expérience préjudiciable en ligne : harcèlement, réception images non consenties, partage d’image à son insu (Enquête CSF, Inserm 2023).
Beaucoup de jeunes ne sont pas marqués par des traumatismes mais des jeunes fragiles peuvent tomber dans une dépendance qui n’est pas sans conséquence pour leur vie personnelle et relationnelle. L’enquête menée par VersLeHaut en 2020 pour la région Ile-de-France montre que l’exposition fréquente à la pornographie est liée à des comportements à risques et à des comportements agressifs chez les jeunes et les adolescents.
Un besoin d’autorité sans réponse
Pour autant, la question est moins celle de la transgression que celle de la place des adultes. En ce sens, l’éducation à la sexualité est profondément liée à la question de l’autorité éducative. Comme le souligne Bruno Jarry, thérapeute de la Maison des adolescents, « le problème vient de l’absence de parole sur ces images, due à la privatisation de la consommation » :
- Seuls 7% des adultes pensent que leur enfant visualise du porno une fois par semaine contre 21% en réalité (VersLeHaut/OpinionWay 2018)
- Plus de la moitié des parents ne surveillent pas leur enfant quand il regarde des vidéos sur internet, 37% pour les moins de 10 ans et 80% pour les 16-18 ans (VersLeHaut/OpinionWay 2018)
Le cas de l’éducation à la sexualité apparaît comme une illustration parmi d’autres de l’expression d’un besoin d’autorité de la part des enfants et des adolescents. Disposer d’une source d’informations, de références, de normes, d’un guide pour entrer dans un monde dont on ignore presque tout est l’expression même d’un tel besoin. Si les éducateurs ne sont pas en mesure d’y apporter une réponse, le besoin ne disparaît pas pour autant de lui-même.
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Au fond, ce qui se joue, c’est la rivalité entre une autorité institutionnelle, celle de l’école, celle de l’état, celle des programmes, et l’autorité parentale. Et cette rivalité, en ne cessant de s’accroître, ne fait qu’une victime : l’enfant. En ce sens, les tensions autour de l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle soulignent une fois de plus que l’isolement, le refus de considérer le regard de l’autre comme légitime, contribue à faire perdre le cap des besoins et des intérêts de l’enfant comme nous le soulignions dans notre étude Le sens de l’autorité.
En ne répondant pas aux besoins de l’enfant, ces institutions rivales prennent le risque de perdre leur légitimité en tant qu’autorités.
Il faut qu’on parle !
A la question « Selon vous, quels moyens pourraient améliorer la relation entre votre famille et l’école ? », 56 % des parents répondent : « une communication plus régulière » (OpinionWay/VersLeHaut, 2024, à paraître). Sans surprise, les parents expriment surtout un besoin d’être informés, impliqués, mis dans la confidence de ce qu’on enseigne à leurs enfants. L’absence d’échange laissant une place démesurée au fantasme, aux rumeurs et aux manipulations.
Mais quels moyens effectifs permettent cette communication ? Les espaces parents prévus par la loi de 2014 dans les écoles élémentaires peinent à exister, faute de moyens humains pour les animer. La dématérialisation des échanges entre parents et école – via les espaces numériques de travail – n’ont pour leur part fait que déplacer dans d’autres lieux une communication qui demeure encore peu fluide[2].
Des parents en quête de réponses
Les parents eux-mêmes reconnaissent que les questions au programme de l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle ne sont pas au cœur de leurs échanges avec leurs enfants. Nous leur avons demandé quels sont les sujets pour lesquels leurs enfants se tournent vers eux pour de l’aide, des conseils du soutien. Si 42% des parents citent le sujet des amitiés, seuls 28% parlent de leur vie sentimentale avec leurs enfants et 20% de sexualité (OpinionWay/VersLeHaut, 2024, à paraître) !
Les familles identifient donc volontiers qu’il leur est difficile de remplir cette fonction auprès de leurs propres enfants. Comme le dit très justement un élève de 4ème interrogé par l’équipe de l’émission Complément d’enquête à la sortie d’une séance consacrée au sujet de la pornographie organisé dans son collège : « ça gène, mais si eux ne nous en parlent pas, qui nous en parle ? »[3].
Plus l’école investit les questions éducatives, plus l’implication des familles est incontournable pour apporter des réponses au plus près des besoins des enfants et des jeunes. L’enjeu n’est pas d’opposer sans fin conservateurs et progressistes, les familles à l’école et inversement. La question n’est pas non plus d’accuser la place des écrans, alors même que nous y recourrons de plus en plus dans l’ensemble des dimensions de nos vies : professionnelles, culturelles, affectives, etc. Pourquoi les enfants feraient-ils autre chose que ce qu’ils voient faire à longueur de temps ?
Comment mieux protéger les enfants d’un espace public saturé d’injonctions contradictoires ? Comment les familles peuvent-elles investir un rôle plus actif dans les quatre parcours éducatifs transverses définis par les programmes : santé, enseignement moral et civique, avenir et éducation artistique ?
Des questions que VersLeHaut s’attachera à explorer au premier semestre 2025 dans le cadre de notre cycle d’étude dédié à la place des familles dans l’éducation.
Guillaume Prévost
[3] « La guerre de l’info sur les bancs de l’école », émission diffusée le 21 novembre 2024 sur France 2.
[2] Voir à ce sujet l’ouvrage L’école du like. Les relations école-familles à l’ère du virtuel d’Aksel Kilic et Jean-Paul Payet (PUF, 2024).
[1] Israël Nisand, Parler sexe. Comment informer nos ados, Grasset, 2024.
Merci pour votre article ! oui , comme intervenant en EVARS , il ne se passe pas une séance sans que je sorte en disant : ” mais où sont les parents” . Aujourd’hui encore face à des élèves de 6èmes , je reçois cette réponse : “mes parents ils me contrôlent pas, c’est ma vie, c’est mon choix, je fais ce que je veux …” et 4 ou 5 autres élèves de 11/12ans : ” sur Tik Tok , on voit des femmes nues qui font des trucs” et les parents ? ” oh , ils savent pas ! ”
et encore : “la pornographie, c’est quand on va sur Pornhub !”
Pas simple de mettre du cadre quand il n’est pas du tout le même à la maison ….
la Pornographie et l’accès massif à des jeux inadaptés à l’âge ( ex GTA dès 7/8 ANS ) sont vraiment des problématiques massives !!