Le système éducatif français doit trouver une troisième voie pour échapper à l’alternative qui consiste à choisir entre ségrégation sociale et carcan administratif, souligne Guillaume Prévost. Comment identifier cette troisième voie, plus conforme à l’idéal républicain et démocratique de notre société ?
La récente ouverture des données sociales de l’Education nationale montre à quel point l’école est socialement stratifiée. Ce constat préoccupant souligne l’importance de mieux prendre en compte les préférences des familles, quelle que soit leur condition sociale.
La publication en octobre des indices de position sociale des établissements scolaires soulève, à juste titre, un émoi considérable. Ces données ont été construites à partir de la profession des parents pour établir la carte de l’éducation prioritaire.
Désormais accessible au grand public à la suite d’une décision du tribunal administratif de Paris, cet indice permet désormais de jauger, du point de vue des parents, la « bonne fréquentation » des écoles, collèges et lycées. Si on peut regretter les raccourcis et les caricatures que soulève cette publication, elle dresse cependant un état des lieux utile et sans concession de notre système éducatif, dont on souligne ici trois observations.
Du public vers le privé
Premièrement, les politiques de mixité conduites depuis vingt ans ont été mises en échec par les familles les plus favorisées. En comparant la composition sociale des collèges et celle de leur territoire d’implantation, la direction statistique de l’Education nationale constate en 2022 que les inégalités entre établissements publics ont été réduites au cours des 20 dernières années, notamment au travers des mesures de carte scolaire. Cependant, la même étude montre que cette réduction a été intégralement compensée par la hausse des inégalités sociales entre collèges publics et privés.
En bref, les milieux les plus favorisés ont fui les politiques de mixité mises en oeuvre dans les collèges publics en inscrivant leurs enfants dans le privé. Ce mouvement d’éviction est particulièrement marqué à l’entrée au collège, puisque la part des élèves scolarisés dans le privé passe de 14 % en CM2 à 22 % en 6e (source : ministère).
Dialogue parents enseignants
Deuxièmement, le comportement des familles est un facteur-clé de la performance de notre système éducatif. La recherche montre que l’implication des parents est décisive pour la scolarité de leurs enfants, en particulier pour les élèves en difficulté. A la suite d’une expérimentation menée en 2008 dans l’académie de Créteil, l’Ecole d’économie de Paris a montré que les échanges entre parents et enseignants amélioraient les résultats des élèves.
En France, cette implication est très fortement corrélée au milieu social. Une étude récente du ministère à propos des élèves les plus en difficultés à l’entrée au CP montre qu’à l’entrée en CM2, 60 % des élèves issus de milieux favorisés ont connu une évolution positive contre seulement 30 % des élèves des milieux défavorisés.
Soutien aux familles
A qui la faute ? Dans une étude édifiante de 2008 consacrée au rapport des parents pauvres à l’école, ATD-Quart Monde renverse la perspective : l’institution scolaire tendrait à délégitimer des familles culpabilisées par leurs propres difficultés scolaires passées. A contrario, au Québec, le soutien à l’implication des familles a produit des résultats remarquables à destination des familles primo-arrivantes ou allophones.
Troisièmement, notre système éducatif considère désormais comme allant de soi que l’initiative individuelle s’oppose à l’intérêt commun. Le lien entre réussite scolaire et fréquentation de milieux favorisés relève d’une telle évidence qu’un grand quotidien national titrait récemment un article dédié au classement social des écoles parisiennes : « les écoles où on réussit le mieux » !
Au bilan, nul n’est besoin d’être spécialiste pour comprendre l’essentiel : pour réussir, il faut fréquenter la « haute ». Conséquence logique : pour aider les élèves des milieux populaires, il faut contraindre les familles les plus favorisées à les fréquenter.
Un débat crucial pour l’avenir
Davantage que les évaluations et tous les classements PISA, ce constat révèle le profond échec d’un modèle éducatif hobbesien, fondé sur le déni d’information, la défiance de tous à l’égard de tous et la nécessaire injonction publique.
Faut-il se satisfaire de cette alternative entre ségrégation sociale et carcan administratif ? Comment identifier une troisième voie, plus conforme à l’idéal républicain et démocratique de notre société ? N’est-ce pas justement le rôle de la puissance publique que d’établir un cadre dans lequel l’initiative individuelle concourt au bien commun ?
Ce débat est crucial pour l’avenir de notre pays, du point de vue économique, social et démocratique. Pour qu’il puisse véritablement émerger, il est vital de déscolariser la question éducative en considérant l’ensemble des acteurs qui concourent à l’épanouissement des enfants. L’école bien sûr mais aussi les familles ou les professionnels de l’animation, éternels oubliés alors qu’on sait l’importance des activités sportives et culturelles pour le développement des enfants.
Réduire l’aversion au risque
Plus généralement, l’opposition caricaturale entre acteurs publics et privés ne sert que les positions acquises, au détriment des enfants. Les établissements privés sous contrat sont des opérateurs de service public, largement financés par les contribuables à ce titre. Ils doivent prendre toute leur part au bon fonctionnement du service public de l’éducation, aux côtés des écoles publiques et en partenariat avec eux.
Enfin, il est vain de condamner les familles qui souhaitent davantage protéger leurs enfants. On ne répond pas à la défiance par un excès de contrainte, au risque de renforcer encore le désir de contournement. Notre système éducatif doit d’abord s’efforcer de réduire l’aversion au risque qui caractérise l’ensemble de ses acteurs – enseignants, familles, associations, collectivités, entreprises – pour rétablir les conditions dans lesquelles le bien commun peut s’épanouir.
Ce n’est pas par un surplus de contraintes qu’on a répondu à la crise financière, mais en restaurant les conditions de l’échange grâce au rôle de tiers de confiance de la puissance publique. Ce qu’on a fait pour les banques, sommes-nous capables de le faire pour nos enfants ?
Guillaume Prévost, délégué général de VersLeHaut
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