Après l’odieux drame d’Arras, commentateurs et politiques rivalisent pour mieux protéger l’école, ses enseignants et ses élèves : exclusion des élèves radicalisés, restriction des accès, caméras de surveillance, reconnaissance faciale, intervention des forces de l’ordre, etc.
A vouloir protéger, on accroît parfois le danger. En accentuant la distance avec la réalité, en consacrant une valeur symbolique qui suscite toutes les transgressions. Au-delà de l’aspect sécuritaire, le risque est aussi de perdre le sens de la mission de l’école et de l’engagement des éducateurs : faire grandir les enfants, leur donner les repères et les outils dont ils ont besoin pour former leur personnalité et leur projet.
Le risque est d’autant plus grand qu’en France, l’éducation revêt également une dimension politique : l’école est aussi l’incarnation quotidienne du projet commun qui forme la Nation. Et c’est d’assumer trop seule cette mission qui met tant en difficultés ses enseignants : orientation, citoyenneté, sexualité, empathie, développement durable, etc. Nul ne saurait raisonnablement répondre seul aux besoins des enfants, aux inquiétudes des parents et aux convulsions du monde.
Un rapide détour éclaire la situation. Au lendemain du 11 septembre 2001, les Etats-Unis imposèrent des normes de sécurité extrêmement fortes à leurs implantations à l’étranger, ambassades, écoles, à l’image des coumpound fortifiés d’Afghanistan où même les vivres étaient importés par container sécurisés. Dans le canal de Suez, haut lieu du trafic international et poumon économique de l’Egypte, chaque passage d’un navire US interdit toute activité humaine pendant 48 heures. Si elle a effectivement prévenu les attaques, cette forteresse a également fragilisé les intérêts américains en contribuant au sentiment d’agressivité et d’iniquité.
A l’opposé de cette approche unilatérale, l’histoire de France fournit une longue épopée d’explorateurs, de marins et d’aventuriers, des Echelles du Levant au Sahara Touareg. Cette tradition d’ouverture et d’échanges puise ses forces dans la découverte de l’Autre, dans l’intérêt pour sa culture et ses coutumes. Elle trouve sa plus brillante expression dans Le rôle social de l’officier du Maréchal Lyautey, Résident général au Maroc dont le remplacement par Pétain devait précipiter l’écrasement des révoltés du Rif, triste préfiguration des errements des guerres coloniales. Pour paraphraser un marin français : « dans le canal de Suez, c’est quand les pêcheurs et les vendeurs de cigarettes s’éloignent de mon navire que je pressens le danger ».
Si comparaison n’est pas raison et si l’histoire a ses limites s’agissant de nos difficultés domestiques, elle n’en éclaire pas moins la situation d’une école en prise avec la diversité culturelle et les divergences morales qui sont celles de la société française contemporaine. Elle rappelle en particulier à nos dirigeants, dont la communication est si férue de symbolique guerrière, que l’imposition brutale et les lignes Maginot n’ont mené qu’aux déroutes et aux humiliantes défaites dont notre histoire conserve encore la trace amère.
Notre école ne doit pas devenir un sanctuaire. Nulle autorité ne peut perdurer si elle ignore la réalité dans laquelle enseignants, élèves et parents sont plongés une fois franchis les murs de l’école. Plus que des « missions supplémentaires », nos enseignants ont besoin de davantage de soutiens. Il n’est que trop temps de rompre l’isolement dans lesquels les enferme un enseignement trop affranchi de la cohérence et des liens qu’exigent toute ambition éducative : avec les familles, avec les associations locales, avec les collectivités, avec les entreprises.
Ce n’est pas en isolant l’école, en prétendant que nos enfants sont ceux de Joseph Pagnol et que nos villes sont celles du baron Hausmann, qu’on répondra aux besoins d’éducateurs plongés dans un monde parfois déconcertant, mais dont la respiration saccadée doit trouver à l’école les ressources pour s’apaiser et retrouver le seul chemin qui soit noble et viable : celui de l’avenir de nos enfants.