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Rien de nouveau sous la lumière artificielle des amphithéâtres. Les étudiants d’une université parisienne manifestent bruyamment leur révolte en solidarité aux affligés d’un conflit israélo-palestinien bientôt séculaire. Ceux qui fréquentèrent l’université dans leurs vertes années n’y verront que l’énième répétition d’un rite de maturité dont succès résiste au passage des générations. Keffieh, drapeaux, slogans. On s’invective, on échange quelques banderilles, on s’y fait quelques bons amis souvent. Roulez jeunesse ? Vous n’y êtes pas. Mais alors pas du tout.
Woke au pays de Mao
Nous ne sommes pas à Montpellier ou à Rennes. C’est à Science-Po, à quelques encablures de nos prestigieux ministères, qu’a lieu cette scène banale sous des cieux plus éloignés des ors de la République. On s’étrangle boulevard St Germain. Les plus hautes autorités s’émeuvent de cette dangereuse sédition. Les intellectuels se succèdent sur les plateaux de télévision pour s’indigner de l’immaturité d’une jeunesse manifestement instrumentalisée par les ennemis de la Nation.
Nos grands esprits se souviennent-ils de l’heureux temps où ils envahissaient le pavé de leurs convictions maoïstes en pleine Révolution culturelle ? Nos éphèbes écologistes-féministes-tiers-mondiste ont figures bien sages dans un pays qui vit en moins d’une génération passer Maurras, Gide et Brasillach. On peut regretter la simplicité ou même l’outrance de slogans aussi rapidement scandés que peu réfléchis, mais troublent-ils davantage l’ordre public que les justifications que Sartre apportait au système concentrationnaire soviétique ?
Sur le terrain des opinions et des idées, notre temps semble pris d’une fébrilité à laquelle nous devrions prêter davantage d’attention. Pressés par les inquiétudes nées des bouleversements du monde, nous nous sommes accoutumés à voir des associations dissoutes, des prédicateurs expulsés, des médias sommés de se justifier de leurs opinions. Bonnes ou mauvaises, étayées ou non, absurdes, outrées, excessives, choquantes même peut-être. Mais de simples opinions, dont l’expression est consubstantielle à la vitalité du débat public. Avons-nous à ce point oublié que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme », ainsi que l’établit notre déclaration des droits ?
Nouvel ordre moral
Sous couvert de wokisme, de complotisme, de séparatisme, s’établit un ordre moral paradoxal à tout point de vue. Pour les uns, on ne peut plus rien dire. Pour les autres, on dit tout et n’importe quoi. Les deux sont probablement vrai. Et il semble parfois que plus on prétend contraindre leur expression, plus les opinions ne cessent de diverger. Privées de la lumière du débat public, propagées et amplifiées comme des sourdes rumeurs, elles prospèrent affranchies de la responsabilité qu’impose la parole publique.
Faut-il donc tant s’inquiéter que les jeunes – et les moins jeunes d’ailleurs – aillent chercher ailleurs les matériaux pour forger leurs opinions ? Faut-il tant s’émouvoir de la perte d’audience d’une parole institutionnelle dont l’actualité ne cesse de souligner la légèreté, la vanité et la vacuité ? Quelle est la légitimité de cette autorité dont ne cessons de réclamer vainement la restauration ? Eduquer ne consiste pas à plaquer des vérités incontestables et à contraindre l’enfant à abdiquer son libre arbitre. Il implique de à l’aider à grandir, à former son jugement, à constituer en son for intérieur le sens critique et l’aiguillon moral qui lui permettront de faire des choix et de les assumer.
L’Absolutisme contre l’Edit de Nantes ?
On se targue beaucoup en France d’une funeste tradition qui voit dans un pouvoir fort les garanties d’une nation forte et unie. En ces temps d’interminables querelles, nous devrions davantage nous attacher à la façon dont notre pays sût mettre un terme aux Guerres de Religions. En assurant à chacun les conditions de sa libre expression, l’Edit de Nantes ouvrit une exceptionnelle période de paix et de prospérité. Texte de compromis, il ne tranche pas des débats intellectuels, ne trace pas des limites en droit, mais s’appuie d’abord sur la reconnaissance des singularités dont est riche la Nation, sur les corps intermédiaires qui composent l’irréductible complexité du tissu social.
A parcourir notre histoire, on constatera que la tentation de l’absolutisme a toujours pavé la voie aux troubles et aux divisions. A rebours de l’Edit de tolérance, Louis XIV abattra les places protestantes, fera la guerre à l’Europe, soumettra les pouvoirs locaux à un centralisme dont se saisiront les Jacobins et dont qui perdure aujourd’hui dans un face à face aliénant entre le citoyen et une puissance publique dont on attend tout et qu’on charge pourtant de tous les maux. Ardents bâtisseurs de hiérarchies bureaucratiques, nous négligeons les hommes, leur part d’impalpable, d’imaginaire. A mesure que nous produisons de nouvelles règles, nous perdons de vue la vieille sagesse sceptique et humaniste de Montaigne ou de Montesquieu, qui sait que le droit n’est jamais aussi impuissant que quand il prétend tout régenter.
On eût souhaité que le débat public s’attachât autant aux étudiants de Sciences-Po qu’à la tragique disparition de Lily, 15 ans, seule dans une chambre d’hôtel en janvier dernier. Lily avait été confié par un juge à la protection de l’enfance, c’est-à-dire à la protection de la société, à notre responsabilité collective. Qui prétend ainsi faire autorité sur la jeunesse ?
Guillaume Prévost est délégué général de VersLeHaut, le think-tank dédié aux jeunes et à l’éducation