Le bilan de 40 ans d’éducation prioritaire souligne que l’école ne répondre seule aux maux de la société, au risque de susciter la défiance et l’évitement. Les politiques éducatives doivent davantage s’appuyer sur les ressources et les initiatives locales pour remettre l’éducation au cœur de notre vie démocratique.
« Les écoles où on réussit le mieux ». Inlassablement, dans la presse, sur les écrans, les classements se succèdent, Paris, Marseille, Côte d’Azur, sur le modèle des écoles de commerce, des cliniques ou des villes où couler ses vieux jours…
Rien de bien nouveau donc, sauf qu’il s’agit ici d’écoles primaires. Et que la réussite dont il est question n’a rien à voir avec la qualité de l’enseignement ou l’investissement des enseignants. Il s’agit des écoles que fréquentent les bambins des Français les plus fortunés, classées à partir des indicateurs de position sociale des parents d’élèves, accessibles au public depuis une décision récente du tribunal administratif de Paris.
Ces indicateurs, construits à partir des professions déclarées par les parents, déterminent la carte de l’éducation prioritaire, c’est à dire les écoles où les difficultés socio-économiques des familles justifient un investissement supplémentaire. Mise en œuvre à partir de 1981 à la suite des émeutes urbaines de Vénissieux, l’éducation prioritaire résulte justement du souci de rétablir l’égalité face à l’école, en mettant davantage de moyens pour répondre aux difficultés de ceux qui en ont le plus besoin.
Jusqu’où peut-on contraindre la mixité scolaire ?
40 ans plus tard, l’éducation prioritaire fait surtout figure de repoussoir. La recherche a abondamment montré comment les familles mettaient en œuvre des stratégies complexes pour extraire leurs enfants de certains établissement stigmatisés, notamment au travers du choix de langues rares ou d’options prisées. Pour défendre la mixité scolaire, l’Education nationale s’est donc attachée à restreindre les enseignements optionnels et les aménagements d’horaires, réputés favorables au « séparatisme scolaire ».
Las ! Dans une note éclairante de décembre, consacrée à l’évolution de la mixité au collège, la Direction statistique du ministère montre que, depuis 2003, la baisse des inégalités sociales entre les collèges publics a été intégralement compensée par une hausse correspondante entre collèges publics et privés. Plus on contraint les familles à la mixité, plus elles recourent au privé pour y échapper ! Ce phénomène est particulièrement marqué au passage en 6ème, qui voit la part des élèves scolarisés dans le privé sous contrat passer de 14 % à 22 % ! Enfin, la part des élèves issus de milieux moyen ou défavorisé scolarisés dans les établissements privés recule nettement sur la même période : en 2021, la part des élèves issus de milieux défavorisés y était inférieure de 25 points par rapport aux collèges publics.
Le splendide isolement de l’école républicaine
Amer constat d’impuissance publique ! De Savary à Blanquer, des zones d’éducation prioritaire aux cités éducatives, des réseaux ambition réussite au mentorat, 40 ans de débats enfiévrés, d’alternances politiques et de dispositifs volontaristes n’ont abouti qu’à creuser le grand fossé qui traverse désormais ostensiblement l’école républicaine. Lors de la dernière refonte de l’éducation prioritaire, en 2014, l’objectif était de limiter à 10 % l’écart de niveau entre les élèves. Selon les disciplines, il varie entre 20 et 35 % en 2019.
Peut-on se résoudre au décrochage d’une partie de notre jeunesse, alors que la France comptera dès 2030 davantage de retraités que de jeunes ? Faut-il renoncer au « plébiscite de tous les jours » qui constitue traditionnellement notre vieux pays ? Ou faut-il contraindre les Français à livrer leurs enfants aux affres d’une solidarité nationale déboussolée ?
L’école n’est pas un isolat au sein duquel les enfants reçoivent une instruction à l’abri du monde. Le contexte local, l’emploi, les dynamiques démographiques et résidentielles déterminent pour une large part la réussite ou l’échec des politiques éducatives. Trop exclusivement concentrées sur l’école et son fonctionnement, sur les programmes, la classe et les enseignants, les politiques scolaires ne peuvent ignorer l’environnement sociologique, culturel et économique dans lequel sont plongés les enfants.
En particulier, les parents sont des partenaires incontournables qu’il serait vain et inefficaces de laisser sur le seuil d’une école conçue comme un cloître. La façon dont le débat en vient à opposer intérêt particuliers – les stratégies parentales – et bien commun – la mixité scolaire – illustre abondamment les impasses d’une conception dirigiste et autoritaire de l’école.
Favoriser la participation des citoyens
L’école est encore trop souvent un guichet, devant lequel on dépose son enfant le matin pour le récupérer le soir. Notre débat éducatif se borne encore trop souvent à l’organisation et au fonctionnement d’une administration chargée de fournir un service public pour un usager réputé passif. Ce modèle descendant et centralisé ne correspond pas aux souhaits des familles de davantage s’impliquer pour le développement et la réussite de leurs enfants.
Les parents ont une part décisive pour la réussite de leurs enfants. Faut-il le nier, pourquoi l’ignorer ? Plutôt que de s’épuiser à combattre l’immixtion des familles favorisées, donnons-nous les moyens de favoriser une égale implication des familles les plus modestes, alors que de nombreuses études ont montré qu’elles sont souvent insidieusement maintenues à distance de la scolarité de leurs enfants.
A l’instar de l’hôpital ou politiques sociales, le service public d’éducation doit mieux s’appuyer sur les initiatives des citoyens. Les caisses d’allocation familiales, les centres de loisirs, les associations, les entreprises même, sont autant de partenaires qui doivent trouver leur place dans les écoles, chacun selon ses compétences et ses possibilités.
Plutôt que de multiplier les dispendieux conseils et les commissions citoyennes, appuyons-nous sur l’intérêt concret des Français pour l’éducation de leurs enfants pour faire de notre tissu d’écoles le cœur d’une démocratie locale vivante, gage d’une plus grande participation des citoyens – et d’une plus grande adhésion – au bien commun.
Guillaume Prévost est délégué général de VersLeHaut,
le think-tank dédié aux jeunes et à l’éducation