Dans un entretien avec FigaroVox en date du lundi 6 avril 2020, Marc Vannesson, délégué général de VersLeHaut explique en quoi le confinement pose de graves difficultés aux professeurs et à leurs élèves. Il y explique également que cette expérience démontre que la famille demeure le principal levier de la réussite scolaire.
Extrait :
FIGAROVOX.- 5 à 8 % des élèves, selon l’Éducation nationale, n’ont pas donné signe de vie à leurs professeurs depuis le début du confinement. Dans certains établissements défavorisés, cette proportion est bien plus élevée. Comment les enseignants peuvent-ils responsabiliser davantage ces élèves et ces familles?
Marc VANNESSON.- Précisons d’abord que derrière ce chiffre du ministère, il y a une part de déni: comme si, pour 95% des enfants, la «continuité pédagogique» était simplement la continuation de l’école par d’autres moyens. Dans les faits, la majorité des familles se mettent la pression pour faire au mieux avec les moyens du bord mais elles ne remplaceront pas l’école.
Pour maintenir l’assiduité, la solution de facilité, c’est «la carotte et le bâton». Le ministère de l’Éducation va user de ce levier pour les classes à examen: Jean-Michel Blanquer a annoncé que l’engagement des élèves pendant le confinement sera un critère d’appréciation des jurys d’examen au brevet et au bac. Il faudra alors prendre en compte la situation des jeunes qui ne sont pas en mesure d’être assidus en ce moment. Tout n’est pas qu’une question de volonté ; il ne faudrait pas tomber dans la rhétorique culpabilisante sur les «parents démissionnaires» ou les «élèves insouciants». Beaucoup de jeunes sont dans l’impossibilité matérielle ou psychologique de travailler.
Avec cette crise, l’école perd de fait son monopole pour quelques semaines.
Une grande partie des enseignants s’adaptent avec détermination à ces situations en inventant de nouvelles façons de travailler avec leurs élèves. Il faut s’ajuster en permanence et pour cela, des temps de partage sont indispensables, en impliquant les jeunes et les parents, pour voir les pratiques qui font leurs preuves, celles qui bloquent… Les réponses ne sont pas les mêmes partout. Cela ouvre des pistes pour une réforme en profondeur de l’Éducation nationale demain: arrêtons de croire qu’il faut tout décider depuis Paris et faisons davantage confiance aux acteurs de terrain.
De façon plus générale, pendant cette crise, il faut accepter de mobiliser différemment les enfants, en faisant feu de tout bois: projets personnels, lecture, dessin, cuisine, jeux de société, programmes éducatifs et culturels sur les écrans… Au début des années 1970, Ivan Illitch invitait à penser une «société sans école» en regrettant une forme de monopolisation de l’éducation par l’école et une déresponsabilisation du reste de la société. Avec cette crise, l’école perd de fait son monopole pour quelques semaines. Cela nous oblige à repenser notre rapport à l’éducation, à accepter qu’il y ait d’autres façons d’apprendre que de rester en cours toute la journée.
La suspension des cours pénalise principalement les élèves qui ont des difficultés scolaires et dont les familles ne s’impliquent pas, ou peu, dans le suivi des devoirs. Comment les enseignants peuvent-ils accompagner ces élèves et tenter de corriger les inégalités qui s’accroissent?
Cette crise nous fait redécouvrir une évidence que le système éducatif français prend mal en compte d’habitude: le principal levier de la réussite scolaire, c’est la famille. C’est peut-être l’occasion d’une révolution copernicienne pour l’école de la République qui, historiquement, s’est construite sans les familles, voire contre les familles. Là, on est obligé de faire avec. La difficulté est de créer du lien quand on ne l’a jamais fait avant. L’avantage, c’est qu’avec leurs enfants confinés 24h sur 24, certains parents comprennent mieux les difficultés auxquelles font face les enseignants en temps normal. Beaucoup d’initiatives existent déjà: certains enseignants appellent régulièrement les familles, pour échanger avec elles sur leurs réussites et leurs difficultés. Des associations qui proposent du tutorat pour les jeunes en difficulté essayent de poursuivre leurs actions à distance, à travers des outils numériques. Autre piste: pourrait-on communiquer massivement par SMS sur les programmes éducatifs à la télévision pour toucher les familles les plus fragiles, comme cela a été fait pour annoncer le confinement?
Les jeunes sont les premières victimes des restrictions sanitaires et de leurs conséquences.
Dans l’après-confinement, il faudra se donner les moyens d’un accompagnement renforcé pour les jeunes en difficulté. Pourtant, le risque est grand qu’avec des finances publiques exsangues, l’éducation et la protection de l’enfance passent à l’arrière-plan, derrière la priorité donnée à la santé. Ce serait une erreur et une injustice. Les jeunes sont moins touchés par le virus que leurs aînés, mais ils sont les premières victimes des restrictions sanitaires et de leurs conséquences: la mise à l’arrêt des activités éducatives ; la hausse prévisible du chômage… La solidarité intergénérationnelle qui s’exerce aujourd’hui pour protéger les plus âgés doit continuer de se manifester demain pour protéger les plus jeunes.
Sera-t-il possible de faire étudier aux élèves tout le programme? Ou cette année scolaire sera-t-elle en fin de compte une année «sacrifiée»?
Même si le ministre se félicite qu’avec la suppression des épreuves du bac et du brevet, on puisse faire cours partout jusqu’au 4 juillet, il faut être lucide: on ne va pas «rattraper le programme». Parce que le temps perdu ne sera pas totalement compensé ; et surtout, parce que, dans une même classe, les écarts se seront creusés davantage: certains élèves ayant avancé, d’autres régressé… N’est-ce pas l’occasion de sortir de ce dogme du «programme scolaire» qu’il faut faire à marche forcée, quel que soit le niveau des élèves? Plus que jamais, il va falloir faire du sur-mesure. Et si, enfin, nous proposions à chaque jeune un projet personnalisé, construit avec les parents et les enseignants, en fonction de son niveau, de sa maturité? Bien sûr, il faut garder des références nationales, comme repères indispensables pour les acteurs et comme outils de pilotage politiques. Mais le programme doit devenir un jalon, plutôt qu’un objectif en soi, qu’on «fait» pour respecter les consignes hiérarchiques…
En privilégiant le contrôle continu plutôt que l’examen traditionnel, le gouvernement va-t-il fausser les résultats du baccalauréat? La notation varie beaucoup d’un lycée à un autre…
Les élèves de la promotion 2020 auront cumulé les difficultés: réforme accélérée du lycée, du bac, Coronavirus… Ceci dit, l’année dernière, la rétention de copies par des enseignants en grève avait déjà donné lieu à des «acrobaties» des jurys pour attribuer des notes. Et au final, la valeur du bac 2019 n’a pas été gravement remise en cause. Pour rassurer les familles, rappelons quand même que le baccalauréat n’est pas un concours: il faut garantir l’équité mais on n’est pas dans une logique de classement. D’ailleurs, pour l’accès aux filières sélectives de l’enseignement supérieur via ParcourSup, le dossier de l’élève et ses notes en contrôle continu comptent déjà davantage que les notes du bac qui arrivent trop tard.
Les jurys du bac devront prendre en compte les différences de notation selon les lycées, tout comme le font déjà beaucoup d’établissements d’enseignement supérieur dans l’analyse des dossiers. Cette situation exceptionnelle va rouvrir le débat sur l’utilité des épreuves finales du bac. Faut-il ou non garder ce «rite de passage»? Mais il ne faudrait pas que ce débat masque les vrais dangers de cette crise, qui se jouent en amont du lycée: au collège et surtout en primaire. Les retards de lecture en CP feront moins de bruit que la suppression des épreuves du bac mais ils sont beaucoup plus graves!