Sur le terrain avec Excellence Ruralités
De manière régulière, VersLeHaut va à la rencontre de personnalités, d’initiatives collectives qui font bouger les lignes de l’éducation. Ces rencontres enrichissent nos réflexions, indéniablement, et nous poussent à croire encore plus chaque jour que les solutions existent déjà pour répondre à la crise éducative. Sur le terrain, beaucoup d’initiatives formidables voient le jour. Nous souhaitons leur donner la lumière et inspirer ceux qui souhaitent construire l’éducation de demain !
Cette fois, nous nous rendons dans le département de l’Aisne, où les difficultés scolaires sont immenses (14,5% des jeunes quittent le système éducatif sans diplôme). L’urgence éducative de ce territoire pousse à l’innovation, l’adaptation, et à l’action. C’est en ce sens que Jean-Baptiste Nouailhac, co-fondateur et délégué général d’Excellence Ruralités, décide d’y ouvrir un établissement-pilote primaire-collège : le Cours Clovis.
Une approche holistique de l’éducation au Cours Clovis
« Il faut tout un village pour éduquer un enfant », au Cours Clovis de La Fère, ce mantra parfois galvaudé n’aura jamais été aussi vrai. Les enseignants s’engagent pleinement dans leur fonction d’une manière qui est propre au cours Clovis ; les parents s’engagent à accompagner la scolarité de leur enfant et à s’impliquer dans la vie de l’établissement ; les élèves, eux, s’engagent à prendre soin de leurs pairs, à se respecter et à s’estimer les uns les autres.
De manière plus précise, revenons sur les enseignants. En rejoignant cet établissement, ils s’engagent à être des « enseignants-éducateurs ». Cela signifie que leur mission dépasse le seul champ de la transmission d’un savoir et le strict cadre académique.
Ils passent du temps avec les élèves en dehors de la salle de classe, déjeunent avec eux mais font aussi des activités sportives ou manuelles, notamment au travers des activités du jeudi après-midi. Chaque semestre, les élèves découvrent une activité non-scolaire (de la boxe, un instrument de musique, passer le diplôme de prévention et secours civiques de niveau 1…).
Cette posture d’enseignant-éducateur permet d’instaurer une relation de confiance et favorise l’accrochage scolaire. En élargissant leur rôle, l’équipe pédagogique contribue à renforcer l’engagement des élèves dans leur parcours scolaire. Ces derniers se sentent plus soutenus, perçoivent parfois leurs enseignants comme des mentors.
L’acceptation de cette relation élargie par les parents est essentielle. Ils voient les enseignants comme des partenaires dans l’éducation globale de leurs enfants ce qui renforce l’impact positif sur le développement des élèves.
Écoute, soutien et partage, quelle place pour les parents ?
Parce que les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants, c’est en complément de l’autorité parentale qu’agit l’équipe pédagogique. L’autorité des enseignants-éducateurs passe par la confiance qu’ont les élèves et les parents envers eux.
Mais le rôle des parents n’en est pas amoindri pour autant. Bien au contraire. Quatre rendez-vous sont obligatoires pour les parents au cours de l’année scolaire : la rentrée scolaire et la remise des 3 bulletins scolaires. D’autre temps d’échanges et de rencontres ponctuent la vie de l’école : du barbecue de rentrée à la kermesse en passant par la journée de Noël, les moments conviviaux sont nombreux et permettent la rencontre avec les parents de manière plus informelle, plus spontanée. Autant d’opportunités d’alimenter la relation de confiance entre parents et enseignants.
Cette implication particulière conduit à une grande écoute, particulièrement auprès des parents démunis. Il faut savoir que 20% des élèves vivent dans une famille monoparentale et qu’un quart d’entre eux arrivant dans cet établissement ont déjà été victimes de harcèlement scolaire. Leur fragilité n’est plus à prouver, elle est avérée.
Une des réponses que propose l’école aux parents est le café des parents. Ce sont des ateliers informels chaque mardi avant les vacances scolaires autour de thématiques éducatives choisies par les familles : gestion des écrans, addictions… L’intervention extérieure d’un expert lors de ces ateliers permet d’introduire le sujet et d’ouvrir les échanges.
Grandir ensemble : l’importance des équipes au Cours Clovis
Une fois par semaine a lieu la réunion des chefs d’équipe pour discuter de conflits entre élèves. Un temps spécifiquement dédié pour discuter de situations complexes, donner des pistes à explorer pour résoudre des conflits, le tout entre élèves. Mais alors, de quoi parle-t-on exactement ?
Il y a autant de chefs d’équipe que d’équipes. Ces dernières réunissent des élèves d’âges différents. Les élèves se retrouvent en équipe principalement à l’heure du déjeuner. Ce fonctionnement pousse à la rencontre, à créer de nouveaux liens et apprendre à composer avec des personnes différentes. On peut parler d’amitiés non-choisies même si en regardant de plus près, on s’aperçoit qu’elles le sont quand même au sein de chaque équipe.
De manière quasi-évidente, des tensions surviennent dans les équipes. Les chefs d’équipe, souvent les ainés, et leur suppléant sont garants de solutions pour apaiser ces tensions. Les propositions viennent des élèves eux-mêmes. L’enseignant n’assiste à ces réunions que pour réguler l’échange.
Les élèves développent également leur sens du service et des responsabilités en participant au fonctionnement de l’école (nettoyage de la cour, du réfectoire, rangement des classes).
Ce système d’équipe aide les enfants à devenir plus autonomes dans leurs relations et dans leur environnement.
La liberté pédagogique au cœur du Cours Clovis
« On prend [les pédagogies] qui fonctionnent sur le terrain. » C’est par ces mots que Pierre-François Chanu, directeur du Cours Clovis m’explique la particularité des écoles du réseau Excellence Ruralités. Evidemment, il y a une charte commune aux établissements scolaires, cependant les équipes pédagogiques bénéficient d’une grande liberté pour répondre aux besoins particuliers de leurs élèves. Il s’agit d’une école « à taille humaine » avec un suivi individualisé rendu largement possible grâce à un effectif par classe de maximum 15 élèves.
Différentes méthodes et pédagogies sont ainsi à l’œuvre au Cours Clovis
L’approche narrative dans l’apprentissage de l’Histoire permet par exemple de maitriser l’Histoire de France de manière chronologique plutôt que thématique. La méthode de Singapour a été choisie pour l’apprentissage des mathématiques. D’ailleurs, j’ai été surprise de constater que les élèves de CE1 et CE2 connaissent le nom de la méthode mais savent aussi me l’expliquer. Voici ce que j’en retiens : elle adopte une approche « concrète-imagée-abstraite » des mathématiques et repose sur 6 temps d’apprentissage (schéma ci-dessous).
Les cours de pratique de l’art oratoire sont une autre manifestation de la liberté pédagogique des enseignants. Comment se tenir, comment s’exprimer, comment parler en public… Ce sont des compétences qui s’apprennent comme nous l’explique très justement Jean-Baptiste Nouailhac qui en a la charge.
Cet enseignement représente un véritable défi pour les élèves. De l’enjeu de la posture, à la mise en mots, ils rencontrent pratiquement tous des difficultés mais ils s’y confrontent tous, et les progrès sont notables. En assistant à un seul cours, l’un des derniers de l’année, nous avons pu constater des progrès, non sans efforts de la part des élèves dans cette pratique qui n’est pas naturelle et rarement agréable pour des adolescents !
Dans un territoire où l’absentéisme scolaire est plus abrupt qu’ailleurs, où le décrochage scolaire est une réalité presque alarmante, et où les perspectives d’emploi sont encore très limitées, il y a dans cet établissement-pilote du réseau Excellence Ruralités, une piste à creuser pour redonner estime et confiance à ces jeunes qui les ont bien souvent perdues.