« Savez-vous combien de fois un bébé va tomber avant de savoir marcher ? »
La question posée à la vingtaine d’élèves de CM1 assistant à cet atelier a de quoi surprendre. Elle a cependant vocation à leur faire prendre conscience qu’une capacité qui leur apparaît anodine aujourd’hui, marcher, n’a été développée qu’après un nombre conséquent de tentatives… et d’échecs ! Car la réponse est édifiante : un bébé tombera en moyenne 2000 fois avant de savoir marcher.
« Est-ce que le bébé s’est découragé ? », interroge à nouveau la facilitatrice de l’atelier. La persévérance étonnante du tout jeune enfant force l’admiration. Et invite les élèves présents ce jour-là à questionner leur propre rapport à la difficulté et à l’échec.
L’échec, partie intégrante de l’apprentissage
C’est tout l’objet de cet atelier, troisième d’une série de quatre qui constitue l’un des programmes proposés par l’association Le Sens de l’Ecole : aider les élèves à réaliser que l’apprentissage et la réussite n’ont rien d’automatique. Il faut parfois de l’entraînement, des essais successifs, des changements de stratégie pour parvenir à surmonter les difficultés.
Ce bébé a su dépasser des échecs répétés sans renoncer. Paradoxalement, le même enfant, plusieurs années plus tard peut parfois céder au découragement face à une table de multiplication qu’il peine à mémoriser ou un texte dont le sens lui échappe. Que s’est-il passé entretemps ?
« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait. » Cette phrase, attribuée à l’écrivain américain Mark Twain, résume bien l’attitude du très jeune enfant qui se plonge corps et âme dans une entreprise qui mobilise toute son attention et vers laquelle il se projette avec une envie certaine.
Une affaire d’état d’esprit
Par la suite, l’enfant peut développer l’idée que certaines choses lui sont impossibles. Parce qu’il n’est pas assez intelligent, parce que ce n’est pas fait pour lui, parce qu’il n’a pas ce qu’il faut pour réussir. Ces croyances relèvent de ce que Carol Dweck, professeure de psychologie sociale et auteure à succès, a qualifié d’état d’esprit fixe (fixed mindset en anglais). Soit la pensée que nos qualités sont données une fois pour toutes et ne peuvent évoluer.
A l’opposé, l’état d’esprit de développement (growth mindset en anglais) se construit sur la croyance que l’effort, l’entraînement, la mobilisation de différentes stratégies d’apprentissage permettent de venir à bout des difficultés et de progresser.
L’atelier proposé ce jour-là par Le Sens de l’Ecole , vise à sensibiliser les élèves, mais également leur enseignant, à l’importance d’un tel état d’esprit dans les apprentissages. Avec, en toile de fond, l’idée de prévenir les comportements de décrochage vis-à-vis des apprentissages, voire de la scolarité.
Des temps d’atelier prolongés durant l’année
Durant cet atelier d’une heure et demie, les élèves auront pu découvrir et discuter des erreurs géniales – comment la pénicilline ou encore le papier-bulle furent inventés à partir d’une tentative ratée – et des parcours réussis semés d’échecs – ceux de Thomas Edison, J.K Rowling ou Michael Jordan.
Ils ont également pu expérimenter les effets de la motivation, de l’entraînement et de la mise en œuvre de stratégies successives lors d’un jeu collectif – le « haut/bas » – nécessitant de la concertation et de la coopération.
Enfin, on leur propose un petit temps de découverte de la façon dont le cerveau fonctionne et comment l’entraînement leur permet de créer et renforcer des connexions entre neurones qui rendra les tâches futures plus faciles – comme l’est aujourd’hui la marche pour tous. « L’école est comme une salle de gym pour le cerveau », conclue la facilitatrice.
Ce jour-là, les élèves sont réceptifs, soucieux de partager leur propre rapport à l’échec, leurs difficultés d’apprentissage, à exprimer leur croyance dans la persévérance. Certains, plus réservés, se manifestent moins dans les échanges mais se révèlent particulièrement actifs pendant le jeu.
La classe est invitée à prolonger l’atelier, à l’initiative de l’enseignant, par des temps de travail individuel – grâce à un « Carnet de route » à compléter par l’enfant – et collectif – à travers des défis proposés par l’association. Présente tout le long de la séance, l’enseignante de cette classe aura également eu l’occasion de se faire une idée plus précise du rapport de ses élèves à l’erreur et à la capacité de progrès en observant leur comportement lors de l’activité et en écoutant leurs interventions.
Trois leviers pour une confiance renforcée
La sensibilisation au growth mindset n’est pas le seul objectif visé par ce programme destiné aux élèves scolarisés en éducation prioritaire. D’autres volets sont mobilisés : le sentiment d’appartenance à l’école et la raison d’être du parcours scolaire. Ces trois leviers agissent conjointement sur la faculté de l’enfant à donner du sens à sa présence à l’école et à se considérer acteur de sa scolarité. Et ainsi, à favoriser son accrochage scolaire.
Prendre conscience que l’école est une ressource pour ses projets et ses rêves, qu’il y a toute sa place et que le travail qu’il y déploie lui permet de progresser contribue à l’engagement de l’élève et à sa motivation.
Cette intention poursuivie durant les quatre séances du programme a fait l’objet d’une évaluation par une équipe de chercheurs du laboratoire Développement, Individu, Processus, Handicap, Éducation (DIPHE) de l’Université Lumière Lyon 2. Selon les premiers résultats, le programme a un effet significatif sur le growth mindset des élèves participants. Il contribue également à leur motivation et aux sentiments positifs vis-à-vis de l’école1.
Ces résultats encourageants corroborent ainsi une intuition forte : il est possible de proposer un enseignement explicite et efficace tourné vers la motivation, la persévérance et la confiance des élèves.
Car à travers le growth mindset, le sentiment d’appartenance à l’école, la raison d’être du parcours scolaire, c’est bien la confiance de l’enfant qui se voit renforcée dans ses différents aspects. En soi d’abord, par la croyance dans sa capacité d’apprentissage et de progrès. Dans l’autre, par une vision de l’école – et de ses occupants, adultes comme enfants – comme un lieu propice à son épanouissement. Et en l’avenir, en inscrivant les années d’apprentissage dans un dessein qui les lie à ses rêves et ses valeurs.
Stephan Lipiansky
VersLeHaut remercie vivement toute l’équipe du Sens de l’Ecole pour avoir rendu possible ce temps d’observation en classe.
Pour plus d’informations sur les programmes et l’activité de l’association : https://lesensdelecole.org.
Pour contacter l’association : contact@lesensdelecole.org
1 François-Xavier Cécillon, Rebecca Shankland, Coralie Damay, Quentin Hallez, « The Meaning of School program: A controlled before-after study enhancing growth mindset in priority education schools », Journal of Epidemiology and Population Health, Vol.72, No.3, 2024.