Sur le terrain avec l’École de Production Industrie à Dijon
Après quelques échanges avec Rémy Heyte, ancien proviseur en lycée professionnel, nous avons pris le train pour découvrir l’École de Production Industrie 21 de Dijon qu’il dirige. Forts des travaux de VersLeHaut sur la question de la confiance, nous y avons observé les relations particulières qu’entretiennent les jeunes entre eux et avec les éducateurs.
Expliquons rapidement ce qu’est une école de production. Créés à la fin du XIXème siècle, ces établissements privés d’enseignement technique forment aux certificats d’aptitude professionnelle (CAP) et aux baccalauréats professionnels industriels. En prônant le « faire pour apprendre », les écoles de production valorisent l’apprentissage par l’action. Alors les jeunes passent les deux tiers de leur temps en atelier et le reste en cours (mathématiques, français, histoire, anglais principalement).
La particularité des écoles de production est que les jeunes réalisent de vraies commandes pour des clients. En les mettant dans cette position, ils sont des apprenants mais aussi des professionnels. En tant qu’apprenant, l’équipe pédagogique les forme et fait preuve de tolérance face à l’erreur ; mais en même temps, ils ont vocation à apprendre rapidement en autonomie pour se positionner en professionnels.
Des jeunes en quête, mais de quoi ?
Les clichés ont la vie dure, et celui qui colle aux écoles de production est tenace : ce sont des écoles de décrocheurs. S’il est vrai qu’une majorité est en situation de difficulté scolaire ou sociale, certains ont d’excellents résultats au collège et l’école de production est leur premier vœu. C’est le cas d’Étienne*, qui après une mention bien au brevet décide de s’y inscrire pour pouvoir faire une école d’armurerie par la suite.
Les élèves sont jeunes, ils ont entre 15 et 18 ans. Beaucoup ont des trajectoires individuelles aux nombreuses fragilités et instabilités sociales ou scolaires. L’école de production est une opportunité pour eux de se projeter vers un avenir professionnel tangible. Les industriels disent « les attendre », qu’ils auront du travail avec leur diplôme ; et une partie de leur programme de français est dédiée à leur choix d’orientation (lire des témoignages, écrire leurs envies…).
En effet, l’ouverture d’une école de production se fait toujours en réponse à un besoin spécifique de secteurs en tension et à une politique locale d’insertion de jeunes en difficultés. Ce sont des métiers du numérique, de la menuiserie, des espaces verts ou, comme ici, de l’industrie. Avant leur rentrée en septembre 2023, leur expérience du monde du travail se limite à un stage d’observation en 3ème, si tant est qu’ils en aient fait un. Leur vision du milieu de l’entreprise est donc souvent erronée, parfois même emprunte d’illusions. Alors ce cadre d’apprentissage leur permet de mieux connaitre l’environnement dans lequel ils évolueront. En début d’année par exemple, ils délivrent eux-mêmes aux entreprises les premières commandes qu’ils ont réalisées. Ils apprennent aussi à gérer un budget.
Non seulement ils gagnent en maturité mais aussi en autonomie. Les maitres d’apprentissage l’expliquent très clairement : « même si on n’a pas encore assez de recul sur le lien entre travailler pour des vrais clients et avoir confiance en eux, on est certain qu’ils gagnent en responsabilité et en maturité. Ils ne veulent pas faire défaut aux entreprises. »
Ces jeunes apprennent aussi à envisager l’autre comme un allié, non un adversaire. L’équipe pédagogique est unanime sur ce point : la cohésion d’équipe se construit, elle prend du temps mais elle porte ses fruits. En début d’année, il y avait des « éléments perturbateurs », deux groupes bien distincts, et de la méfiance. Le travail en groupe était compliqué pour eux et ils ne choisissaient pas naturellement de s’entraider. Progressivement, la confiance s’instaure, chacun apprend à se connaitre, à connaitre l’autre ; et ils apprennent à s’appuyer les uns sur les autres, à se solliciter.
Au sein de la salle de classe, c’est encore fragile. Leur relation à l’école est ambivalente voire hostile. En tant qu’enseignante de français et d’histoire à l’EDPI21, Margaux doit d’abord prendre le temps de leur redonner confiance en eux et en leur capacité à « maitriser les savoirs fondamentaux ».
La confiance est clé dans la mise en action de ces jeunes, parfois paralysés par l’échec. Après une, puis deux, puis trois erreurs, certains jeunes n’osent plus se mettre au travail de peur d’empêcher la bonne réalisation de la commande. Avoir de vrais clients est une opportunité autant qu’un défi, mais ce dernier est parfois trop intimidant.
L’équipe enseignante devient également un allié pour le jeune. « C’est un peu ma famille », exprime Youssef*, un des jeunes que nous avons interrogés. Il sait qu’il peut leur faire confiance, s’ouvre de plus en plus et développe des liens privilégiés qu’il n’a jamais eu avec aucun enseignant.
Être éducateur en école de production
« Des éducateurs ? Oh, et bien c’est un peu ce que nous sommes ! » nous dit Margaux lorsqu’on lui demande si ce terme fait écho en elle. Il faut dire que leur mission est protéiforme : apprendre un métier aux jeunes, nouer des relations de confiance et de respect, favoriser le travail en équipe, s’épanouir…
Autant de missions que l’équipe pédagogique parvient à mener grâce à la confiance mutuelle entre le directeur et l’équipe, mais aussi au sein de l’équipe, entre les éducateurs. Les écoles de production favorisent les petits groupes, ce qui permet d’individualiser l’apprentissage, de coller aux besoins des élèves ; mais sans confiance, le bien-être de chacun ne serait pas au rendez-vous. Chacun a (re)trouvé un sens à l’enseignement et à la transmission au sein de l’EDPI21.
En acceptant cette casquette d’éducateurs, ils dépassent la transmission d’un savoir ou d’un métier. Ils écoutent les problèmes familiaux des uns, les peines de cœur des autres. Ils acceptent aussi de s’ouvrir aux élèves. Pour permettre aux élèves de grandir, ils ont besoin que la confiance mutuelle s’instaure mais aussi d’une certaine distance pour se protéger.
David, Rémy, Raphaël et Margaux l’expriment tous : l’expérimentation pédagogique est possible en salle de classe et les différentes méthodes d’apprentissage ne se font pas concurrence dans l’atelier. La confiance entre pairs se construit.
Dans sa salle de classe, Margaux comprend rapidement que rester assis, pour ses élèves, « est une souffrance », autant pour eux que pour elle. Ils sont très peu autonomes, doivent être en permanence sollicités, et pour autant, leur apprendre à gagner en autonomie.
Alors, il faut apprendre à lâcher prise : se défaire des obligations du programme et ne pas hésiter à innover. C’est ce qu’elle décide de faire pour la rentrée 2024 où elle va essayer la méthode de « classe autonome » développée par Juline Anquetin-Rault. Il s’agit d’une pédagogie active développée à partir des méthodes de Maria Montessori et Célestin Freinet et inspirée des travaux de Céline Alvarez en maternelle. Le professeur tend à se mettre en retrait et à créer du matériel et un environnement pensé pour que l’élève apprenne par lui-même et en faisant.
École de production, école de la confiance !
Le contexte particulier du petit groupe, d’un temps majoritairement passé en atelier et de la proximité avec le monde du travail semble donner plus confiance au jeune. Il gagne en autonomie, connait mieux le milieu de l’industrie et des entreprises, crée des liens avec ses pairs et avec l’équipe pédagogique.
Ces conditions semblent nécessaires pour faire grandir le jeune mais ne suffisent pas. L’équipe pédagogique fait par exemple attention à avoir un discours cohérent et unique face aux élèves. Les éducateurs peuvent ne pas être d’accord entre eux, mais cela ne doit pas être ressenti par l’élève. Dans la même dynamique, il est important que les parents soient des éléments de soutien, non d’opposition.
Ce n’est que la première année, alors il faudra attendre encore un peu pour prendre le recul nécessaire à l’analyse. Cependant, ce qui fait que le modèle de cette École de Production Industrie 21 semble fonctionner, c’est cet effet « boule de neige » dans la confiance. Le directeur entretient une relation de confiance avec son équipe. Les éducateurs prennent ainsi confiance en eux et nouent cette même relation entre pairs. Cette confiance bénéficie finalement aux jeunes qui s’ouvrent aux éducateurs et à leurs camarades.
Tout cela ne se fait pas sans mal, l’année n’a pas été de tout repos. Cette relation a été régulièrement éprouvée par les jeunes ou les parents. Cet engagement, également affectif, de l’équipe pédagogique permet cette confiance des élèves à leur égard mais comporte une dimension délicate : le fait d’endosser les difficultés extérieures des élèves. Au bout du compte, les jeunes trouvent leur place, se sentent bien dans l’école et s’engagent dans leur travail.
*Tous les prénoms des jeunes ont été modifiés pour préserver leur identité.
Alexanne Bardet