L’art et le sport, une approche de l’éducation basée sur l’expérience sensible

Après une formation au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, Sylvain Groud a commencé une carrière d’interprète avant de s’engager dans la création chorégraphique. Aujourd’hui directeur du CCN De Roubaix, le projet défendu par Sylvain Groud est d’apporter la danse au plus près des habitants, de manière inclusive et pédagogique. Il démontre une ouverture marquée à l’ensemble des esthétiques chorégraphiques.

En quoi la danse se distingue-t-elle du sport ?

S’ils ont en commun la mise en mouvement du corps et le fait de s’appuyer sur une éducation physique consciente et méthodologique, sport et danse ont une différence majeure : ce qui fait leur argument, leur moteur.

La danse est une expression de soi, une manière de se raconter aux autres, une forme de récit qui provoque l’émotion du spectateur. Je dirais même que tout spectacle est un dialogue entre le créateur, les interprètes et chaque personne du public. Le sport, lui aussi, engendre de l’émotion, mais ce n’est pas son but premier. Par exemple, alors que dans l’activité sportive, la souffrance de l’effort se devine, en danse, on va jouer avec, soit en la masquant, soit au contraire en l’exagérant. Ce petit plus qui fait la différence, c’est tout simplement la portée artistique.

En revanche, l’éducation artistique comme l’éducation sportive appréhendent toutes deux l’apprentissage d’une manière qui se distingue de l’enseignement traditionnel. L’apprenant est invité à donner quelque chose en plus de sa personne, qui relève de l’engagement. Il ne s’agit pas seulement d’apporter la réponse ou le comportement attendu à une problématique donnée. L’apprenant est libre de proposer, de faire valoir sa propre personnalité.

Je ne dissocie donc pas complètement le sport et la danse. Il y a aussi parfois dans les deux disciplines une mise en mouvement collective, qui éduque à la cohésion de groupe, à l’écoute et au respect mutuel.

L’éducation artistique comme l’éducation sportive appréhendent toutes deux l’apprentissage d’une manière qui se distingue de l’enseignement traditionnel.

Qu’est ce que le sport ou l’art peuvent pour l’éducation ?

Dans le sport, comme dans la danse, l’un des apprentissages spécifiques est que l’on s’enrichit au contact de l’autre. Cette manière d’envisager la relation à autrui est un peu en opposition avec le système éducatif traditionnel où l’on met sans cesse en concurrence les élèves. Bien sûr, dans le cadre de la compétition sportive, l’autre devient notre adversaire, mais durant la phase d’apprentissage, on est invité à partager une aventure humaine où la victoire est collective.

Le sport comme la danse sont des aventures… En tant qu’individu, on relève des défis, on se met en action. Ce sont des expériences du libre-arbitre. En cela, l’enseignement des matières fondamentales gagnerait à s’en inspirer.

Quelle place pour le corps dans les apprentissages ?

En danse, mon approche est de travailler le corps comme un matériau brut qui va révéler ses potentialités. L’idée est que l’apprenant ne considère plus son corps comme un poids, une entité distincte avec laquelle il faut composer, mais comme une richesse. L’idée est de l’accepter avec ses failles et ses forces, d’apprivoiser petit à petit ses spécificités, pour le transcender. C’est aussi par le corps que se tissent la coopération et le collectif, il mérite donc tous les égards.

Le corps appartient autant à la sphère de l’intime que du social. Il est nécessaire de l’accepter et de le comprendre, et aussi d’apprendre du corps de l’autre, dans l’interaction.

Alors le groupe fait « corps » et collectivement, on produit quelque chose, on transmet un message. Et cela se vérifie aussi dans le sport.

A l’image des sports qui valorisent la diversité des corps (rugby, athlétisme…), je vois dans la danse en milieu scolaire une vertu évidente de faire œuvrer ensemble tous les corps et toutes les personnalités. Et il est fréquent que les enfants aux profils les moins normés, et même en difficulté scolaire, révèlent leur incroyable potentiel à faire les propositions les plus enrichissantes pour le groupe.

Lorsque le groupe fait « corps », quelque chose se produit, on transmet un message.

Et quelle place occupe l’éducateur, le professeur dans cet apprentissage ?

On a tendance à considérer l’apprentissage comme une transmission brute de connaissances, en dehors de toute expérimentation. Or, dans l’enseignement de la danse et du sport, c’est important de laisser l’apprenant appréhender la matière enseignée en réalisant sa propre aventure, sa propre expérience. Cela lui permet d’intérioriser l’apprentissage sans qu’il en ait même conscience. Parfois, l’apprenant peut avoir besoin de plus de temps, et le laisser s’approprier la matière enseignée à son rythme, à sa manière, lui permet de fixer les connaissances de manière empirique.

Le professeur intervient alors davantage comme un « accoucheur d’esprit » et de potentialités. Il intervient en tant que guide, dans un positionnement horizontal, et non pas comme celui qui détiendrait le savoir et le transmettrait de manière verticale. Le pédagogue en danse peut même être amené à valoriser l’erreur (par rapport à la consigne de base) comme quelque chose de bénéfique, voire productif. Il s’agit alors de mettre en valeur le libre-arbitre de chaque apprenant et sa capacité propre à créer. Cela avance la responsabilité de chacun vis-à-vis du groupe, d’apporter une contribution au résultat recherché.