Break Poverty Foundation conçoit et met en place depuis 2017 des solutions innovantes en faveur des jeunes pour éradiquer la pauvreté en France. Elle est notamment à l’origine de la Dotation d’Action Territoriale qui vise à encourager le mécénat pour lutter contre la pauvreté des jeunes sur leur territoire.
Lors d’une conférence-débat du mercredi 11 janvier, Break Poverty Foundation met en lumière les sous-jacents complexes du phénomène de décrochage scolaire chez les jeunes. Présentée au siège de son partenaire la Banque Postale, cette étude que relaie VersLeHaut a été présentée par Pierre Derieux et Christophe Sanchez, respectivement administrateur et directeur des programmes aux côté de différents experts de l’éducation qui croisent leur point de vue sur ces avancées.
Au regard de cet état des lieux alarmant et plus actuel que jamais, VersLeHaut reprend quelques-unes des pistes envisagées pour actionner une réponse dans le champ éducatif.
Un constat sans appel
Les jeunes sont aux premières lignes de la pauvreté : 1 Français sur 6 vit sous le seuil de la pauvreté… soit 1 jeune français sur 4. Fort de son positionnement, Break Poverty rappelle la double exposition de cette tranche non négligeable de la population. A un âge de vulnérabilité, où tout se construit, l’inconfort matériel est terreau de décrochage. 95% des décrocheurs sont issus de milieux défavorisés, et le processus de rupture avec l’école s’entame souvent assez tôt. Il se manifeste par un rejet progressif de l’institution, qui démarre dès le début de la scolarisation et se renforce dans la plupart des cas lors du passage au collège.
Au bilan, 160 000 jeunes français par génération se déclarent hors de tout emploi et de formation, soit 20% d’une classe d’âge. L’étude montre que ce décrochage est largement prévisible et peut être anticipé. Pourquoi donc est-on incapable aujourd’hui, avec ce prisme malheureusement si prédictif, de contrer ce fléau ?
Contrairement à une idée reçue, les moyens déployés dans cette optique sont encore faibles: les territoires d’Education prioritaire (REP et REP+), qui captent la majorité des ressources financières, sont assez peu probants en termes d’impact social sur les résultats scolaires et ne couvrent que 30% de l’ensemble des décrocheurs en France. Les approches différenciées (classes SEGPA, ULIS, dispositifs relai…) proposent une prise en charge pédagogique adaptée aux besoins de l’enfant, à une échelle individuelle et n’a pas pour autant d’effet positif notable sur l’insertion professionnelle. Par ailleurs, 50% du total des décrocheurs échappent à ces unités scolaires. Enfin, les innombrables dispositifs individualisés, souvent mis en place hors des établissements, (tutorat, mentorat…) représentent, mis bout à bout 2% en moyenne du temps scolaire de chacun d’entre eux : un taux insuffisant face à l’ampleur des efforts nécessaires pour renouer avec le système scolaire.
Et pourtant, l’étude estime à 230 000 euros le coût de prise en charge spécifique d’un jeune décrocheur ! Un chiffre important, qui correspond environ à 8 fois le prix d’une année de collège d’un élève non-décrocheur. En définitive, si l’on parvenait à amorcer une meilleure approche de lutte contre le décrochage, le “retour sur investissement” serait colossal, et l’impact social n’aurait pas de prix : rappelons qu’un jeune sur 5 est concerné par l’exclusion scolaire et professionnelle.
Par où commencer ? Voici quelques pistes envisagées par les intervenants présents autour de la table :
La France a encore beaucoup à apprendre sur la place de l’erreur
Corrections rouge sang sur une copie balafrée, évaluation-sanction, classements infructueux… D’anciens de ces réflexes occupent encore largement le champ de la pédagogie, rappelle Jérôme Saltet (créateur de PlayBac, auteur de l’ouvrage « Changer le Collège, c’est possible »), à l’heure où il est communément acquis qu’une saine émulation n’a rien à voir avec l’humiliation. Souvent évoquée en théorie, le rôle de l’erreur comme vecteur d’apprentissage peut-être abordé de manière plus pragmatique auprès des professeurs en formation. “C’est en apprenant que l’on se trompe”, l’adage est souvent répété, mais est-il vraiment inscrit dans les pratiques ? Les élèves en difficulté ont-ils le sentiment que les mauvaises réponses ne sont pas pour autant désavantageuses ? De nombreux travaux de recherches se concentrent sur cette question à l’étranger, à commencer par les Etats-Unis, où les enseignants s’exercent depuis longtemps à inclure l’erreur dans le processus de l’apprentissage.
L’appétence plus que la connaissance ?
Si la “compétence” a finalement supplanté “la connaissance” dans les programmes, on revient désormais sur l’importance donnée … à l’appétence ! Jean-Claude Juvigny, principal du collège Vauban à Briançon et président de l’association remobilisatrice 432A, en témoigne.
Un précédent article de VersLeHaut évoquait le film « L’école est à nous » d’Alexandre Castagnetti (octobre 2022), qui met en scène une enseignante se présentant ainsi devant ses élèves : “faites uniquement ce que vous avez envie de faire”. S’en suivent quelques moments de flottement, une grande lassitude au sein d’une classe de 4ème d’abord apathique, puis différentes manifestations d’impatience qui amèneront les élèves à se tourner vers des domaines différents, y assouvir leur curiosité, se spécialiser, devenir experts et fiers de cette expertise, prêts à réemployer leur énergie dans un autre apprentissage. Irréaliste ? Certainement exagéré pour les besoins de la fiction, ce postulat sur la motivation intrinsèque des élèves, que certaines pédagogies alternatives ont alimenté depuis longtemps, demeure intéressant et encore trop peu exploré… surtout pour les élèves décrocheurs qui oscillent entre appréhension, sentiment d’illégitimité et ennui. La question des moyens est évidemment prégnante, ainsi que celle, incontournable, d’une formation, pour les enseignants, à cultiver l’envie d’apprendre.
L’orientation “subie” : un non-sens
Anne de Rozario, Directrice Générale adjointe de l’ONISEP, amène l’éternel sujet de “l’orientation subie” sous un angle nouveau : on observe certes des élèves qui, mal orientés faute de connaître le champ des possibles ou de “s’être constitué un réseau”, se retrouvent complètement décrochés. En réalité, le problème se joue en amont : même s’ils ont une bonne connaissance des voies possibles, même s’ils nourrissent des rêves de carrière, ces élèves ne les choisiront probablement pas. Cela s’explique par l’image dégradée qu’ils se font de leurs propres capacités, mais aussi par l’impossibilité ou la crainte de s’éloigner de chez eux. Bien orienter les élèves est probablement davantage une question de remobilisation que d’accès à l’information. En cela, le rôle des compétences psycho-sociales, qui prennent place peu à peu dans la salle de classe, est central. Rappelons que les causes du décrochage, souvent diverses, complexes et entremêlées, sont avant tout liées à des fragilités psychologiques qui peuvent se résorber tout au long de la vie.
L’école ne peut pas être un sanctuaire
L’école doit être le poumon de la société : un lieu vers lequel les familles se tournent sans crainte, un lieu pris en compte dans la responsabilité éducative des entreprises, ou un lieu que les politiques adressent directement. Pour trouver une première prise dans la lutte contre le décrochage, rappelle Jean-Claude Juvigny, on doit considérer le jeune dans son environnement, et s’attacher – c’est un rôle que peuvent endosser les associations – à renouer d’abord les liens qui l’unissent à sa famille et qui sont souvent eux-mêmes déconstruits.
Si les politiques de lutte contre le décrochage se manifestent à différentes échelles, les acteurs de proximité (dispositifs mis en place par la ville, centres sociaux, associations de quartier, réseau école-collège) seront les plus propices à intervenir de manière bénéfique pour dénouer les cas individuels.
Retrouvez l’ensemble du diagnostic et les deux axes d’action prioritaire envisagés par le rapport de Break Poverty Foundation : Transformer le collège et Enrichir les temps extra-scolaires.
Camille De Foucauld
Cheffe de projet – VersLeHaut
Je pense que la meilleure solution pour éviter les décrochages serait de les prévenir en commençant dès le plus jeune âge par des apprentissages intensifs surtout pour la population la plus à risque. On pourrait aussi combiner avec la lutte contre le sexisme, le harcèlement scolaire, le communautarisme et aussi améliorer nos résultats aux tests internationaux PISA, PIRLS et TIMSS. Les remèdes existent, ils font l’objet de plusieurs ouvrages comme celui de Valérie Marty, “Guide pour faire réussir votre enfant dès la maternelle jusqu’au lycée” ou “Pourquoi les enfants de profs réussissent mieux” de de Guillemette Faure et Louise Tourret. C’est la mise en œuvre qui reste à développer et pour cela je pense que des formules de type “séjours immersifs” durant les congés scolaires seraient les plus appropriées.