Alors que le Gouvernement s’avance vers une nouvelle réforme du lycée professionnel, il serait sage de s’accorder sur les objectifs d’une filière dont les difficultés sont au cœur de contradictions de notre système éducatif.
Parmi les dossiers que Pap Ndiaye trouvera sur son bureau, il en est un que la campagne a à peine esquissé et qui est pourtant déjà brûlant : la réforme de l’enseignement professionnel. Emmanuel Macron a annoncé vouloir rapprocher l’école et l’entreprise à l’exemple de l’apprentissage : « on laisse vivre trop de filières où il n’y a quasiment pas de débouchés ».
Ces propositions, comme celles venues de tous les bord politiques, se bornent trop souvent à un slogan : « revaloriser le lycée professionnel ». Avant de se lancer dans une nouvelle réforme, il serait utile de s’accorder sur un état des lieux et sur les objectifs d’une filière qui concerne près de 40 % des lycéens français. Ce constat, lucide, fidèle aux réalités, doit surtout s’appuyer sur l’expérience des premiers concernés.
Hypocrisie du système éducatif
Le premier constat, c’est celui de de l’hypocrisie du notre système éducatif. Tandis que chaque année, des campagnes publicitaires sont lancées à grand frais pour « revaloriser les métiers », la réalité est malheureusement moins brillante loin des ors des ministères.
Si l’entrée au lycée constitue pour beaucoup de jeunes un moment d’ouverture et d’émancipation, pour d’autres c’est surtout la confirmation d’une punition sociale, malheureusement terriblement prévisible. Un élève issu de milieu défavorisé a presque deux fois plus de chances d’être orienté en lycée professionnel, presque trois fois plus en certificat d’aptitudes professionnelles (Sciences Po, 2014). Ce destin est particulièrement prévisible pour les enfants issus de l’immigration : 75 % des garçons descendants d’Afrique subsaharienne sont scolarisés dans les filières professionnelles (DEPP, 2019).
Cette assignation ne relève pas d’une idéologie « woke » ou d’un renoncement à l’universalisme. C’est la réalité concrète de trop d’élèves pour qui la promesse républicaine est surtout une terrible chape de plomb. 56 % des lycéens professionnels sont issus de milieux très défavorisés et près de la moitié arrivent en seconde avec au moins un an de retard (ministère, 2020). Avant toute chose, ayons donc le courage de laisser ici les mythes de la méritocratie et de l’orientation choisie.
L’employabilité : un objectif ambigu
Deuxième constat : le lycée professionnel n’a qu’un objectif, l’employabilité, comme s’il était sommé de faire disparaître au plus vite les traces du crime contre la promesse républicaine. Et fatalement, en fait d’employabilité, c’est surtout d’inemployabilité qu’il s’agit.
Mesure-t-on l’effet du jugement porté sur des adolescents quand ils ne sont plus considérés que sous l’angle de leur capacité de travail, anonyme masse laborieuse ? « Remisez vos rêves, vos envies et vos aspirations, et marchez sans plus tarder vers les besoins de l’appareil productif ».
Ce mot d’ordre de « revalorisation » souligne surtout à quel point la filière professionnelle est dévalorisée. L’accès à l’emploi des jeunes est un objectif honorable et nécessaire, qui ne concerne d’ailleurs pas que le lycée professionnel. Il est important d’améliorer le taux d’emploi des bacheliers professionnels certes, mais il est aussi important de parler de réussites, de parcours d’excellence, de projet pédagogique.
Assignation à résidence
Le débat d’entre deux tours, qui a vu Mme Le Pen circonscrire son projet « au retour aux filières L, ES, et S », est terriblement révélateur. Le lycée professionnel fait figure d’angle mort d’un système ultra compétitif qui assigne trop souvent les jeunes à leur origine.
Si l’ambition de la voie professionnelle est de former à des secteurs d’activité variés, pourquoi ne pas développer des cursus plus liés aux envies des jeunes ? Pourquoi ne pas créer des filières d’excellence pour le jeu vidéo, la musique, le sport ou la communication ? Pourquoi ne pas considérer que le lycée professionnel peut être un atout pour la transition écologique, pour promouvoir l’innovation grâce à des filières dédiées aux métiers de l’intelligence artificielle ou du web ?
Au-delà de la seule filière professionnelle, c’est l’ensemble du système éducatif qu’il faut interroger, son obsession pour la sélection des élites, pour la maitrise des seuls savoirs disciplinaires, sa passion pour les grandes écoles, pour l’accession à des castes privilégiés. On se focalise sur la réforme du baccalauréat général alors que, loin des radars du débat public, le lycée est devenu un lieu d’enfermement social et de rétrécissement de l’avenir pour des millions de jeunes français.
Monsieur le ministre, il n’est que trop temps de faire en sorte que, pour tous les jeunes, l’école soit un lieu de transmission, d’épanouissement et d’espoir en l’avenir.
Dylan Ayissi, ancien lycéen professionnel, est fondateur du collectif « Une voie pour tous »
Guillaume Prévost est délégué général de VersLeHaut, le think tank dédié à la jeunesse et à l’éducation