En ce jeudi 13 janvier, un nombre inédit de syndicats ont appelé à la grève. L’intersyndicale à l’origine de l’appel à la grève comprend des syndicats d’enseignants dont la grève fait partie du lexique habituel, aussi bien que des syndicats dits « réformistes ». Des syndicats de lycéens et de parents d’élèves se sont joints à l’appel de même que, de manière exceptionnelle, des syndicats d’inspecteurs de l’éducation nationale et de directeurs d’école.
3 protocoles sanitaires entre le 3 et le 10 janvier pour “garder les écoles ouvertes”
À la veille de la rentrée des classes le 3 janvier dernier, le ministère de l’Education Nationale a annoncé la mise en place d’un nouveau protocole sanitaire dans les écoles. Ce protocole a été modifié à deux reprises depuis : le 7 et le 10 janvier. La volonté affichée par le Gouvernement est de maintenir l’école ouverte. Cette priorité a été réaffirmée par Jean-Michel Blanquer et par Jean Castex.
La décision de garder les écoles ouvertes repose pour le Gouvernement sur plusieurs éléments :
- Les enfants et jeunes sont moins sujets au Covid et ne développent que très rarement de formes graves du virus ;
- La fermeture des classes et des écoles a des conséquences négatives sur la qualité d’apprentissages des enfants et des jeunes, ainsi qu’en termes de socialisation et de santé ;
- La fermeture des écoles et des classes désorganise la vie des familles et des entreprises.
De manière significative, ce n’est pas Jean-Michel Blanquer mais le Premier ministre Jean Castex qui a présenté les éléments du dernier protocole sanitaire en date. Cette décision gouvernementale a été interprétée comme une tentative pour désamorcer la tension entre les personnels de l’Education et le ministre.
Des syndicats opposés au « quoi qu’il en coûte » de l’ouverture des écoles, dans un contexte de fatigue croissante
Les syndicats mettent en cause la gestion de l’épidémie par le ministère de l’Education Nationale. Les reproches faits au gouvernement sont de plusieurs ordres :
- La volonté de garder les écoles ouvertes à tout prix serait mise en œuvre au détriment de la santé des personnels et de la qualité des enseignements ;
- Le niveau de circulation du virus rendrait la continuité pédagogique illusoire, alors que les fermetures de classes et d’établissements sont à des niveaux très élevés ;
- Les protocoles sanitaires seraient trop complexes voire impossibles à mettre en œuvre ;
- L’annonce des nouvelles règles serait trop tardive pour permettre de les assimiler à temps1 ;
- L’équipement nécessaire pour protéger personnels et élèves (masques, capteurs à CO2, autotests) ne serait pas disponible.
Pour justifier leur défiance face aux choix du Gouvernement, les syndicats citent les derniers chiffres disponibles sur la contamination en milieu scolaire :
- Le 11 janvier, 10 453 classes étaient fermées ;
- Entre les 3 et 6 janvier, 47 453 élèves ont été testés positifs ;
- Le 6 janvier, 5 631 personnels de l’Education Nationale étaient positifs (0,4% des personnels), un niveau record.
De manière générale, les syndicats demandent le retour à un protocole plus facile à mettre en œuvre :
- La fermeture des classes en cas de cas positif ou à partir d’un certain niveau de cas positifs ;
- La fourniture du matériel nécessaire (masques chirurgicaux voire FFP2, autotests) ;
- L’équipement en capteurs C02 ;
- Le recrutement de professeurs remplaçants.
Au-delà des protocoles sanitaires, des changements attendus pour les examens
L’appel à la grève s’inscrit aussi dans un contexte de fatigue et de lassitude plus générales, après presque deux années de pandémie et trois années de réforme du lycée. Les programmes des secondes, premières et terminales ont été complètement changés en 2019 et 2020. Quant au baccalauréat, il a été entièrement rénové dès la session 2021 pour les terminales, finalement adapté dans le contexte covid, et une nouvelle réforme est prévue pour la session 2023 avec ajustement dès la session 2022.
La désorganisation des enseignements liée à l’épidémie a amené plusieurs syndicats à demander des aménagements d’ordre pédagogique, en particulier en ce qui concerne les élèves de terminale, dont toutes les années de lycée ont été perturbées par le Covid alors même qu’ils sont les premiers à expérimenter la réforme du lycée.
Une occasion manquée ?
Depuis le début de la crise sanitaire, les conditions d’enseignement ont été profondément bouleversées. Le premier confinement, en mars 2020, a mis l’école et les familles face au défi de l’enseignement à distance, puis aux hybridations de tous ordres entre « présentiel » et « distanciel ».
Par ailleurs, la crise du Covid a mis en avant le rôle éducatif central des parents. Elle a aussi, dans certains cas, renouvelé les relations entre l’école et les familles, en introduisant un dialogue plus soutenu malgré des conditions d’échange dégradées. Elle a enfin mis en valeur l’inventivité des enseignants pour assurer une forme de « continuité pédagogique », tout comme celle de nombreux élèves, dont l’agilité dans les usages numériques leur ont permis d’aider leurs camarades, leurs parents et parfois leurs professeurs à mettre en place les outils techniques.
Dans un contexte de tension et de crise, des opportunités apparaissaient :
- Renforcer durablement les liens entre parents, enseignants, établissement ;
- Réfléchir aux conditions et opportunités de l’enseignement à distance y compris hors temps de crise ;
- Valoriser les initiatives des enseignants les plus à l’aise dans l’enseignement à distance et favoriser leur mise à disposition ;
- S’appuyer sur certaines pratiques des élèves pour rapprocher l’école de leurs moyens d’échange.
Alors que l’élection présidentielle se rapproche, il est plus que jamais nécessaire d’oser un dialogue fort pour éviter une situation de blocage durable au détriment de tous : élèves, enseignants et autres personnels éducatifs. La réponse à la situation présente ne peut pas reposer sur un hypothétique retour à un état antérieur.
La crise du Covid impose de préparer l’école pour d’éventuels confinements ultérieurs. Collectivement, elle nous invite aussi à repenser la place de l’éducation pour la remettre au centre de la société.
Nathanaël Mion
Directeur scientifique