“La crise sanitaire révèle un système éducatif enlisé dans ses contradictions, au prix de conséquences humaines et sociales de plus en plus préoccupantes. Au-delà des crises, des constats et des postures, la campagne présidentielle doit remettre l’ambition éducative au cœur du projet national.”
La sarabande des protocoles sanitaires et leur casuistique kafkaïenne soulignent à quel point l’école est adossée à un appareil administratif pyramidal à bout de souffle, qui ne cesse d’épuiser ses serviteurs. Comment expliquer cette situation, alors que les réformes éducatives, de droite comme de gauche, n’ont eu de cesse de se succéder depuis la fin des années 1970 ?
« Il n’est pas de problème dont l’absence de solution ne finisse par venir à bout ». Cette trop fameuse sentence d’Henri Queuille, symbole de politiques vouées à l’impuissance et au fatalisme, illustre bien la façon dont nous nous sommes progressivement accommodés des dysfonctionnements de notre système éducatif.
Ce statu quo assure en effet aux initiés des rouages d’un système devenu illisible un avantage décisif pour s’assurer l’accès aux diplômes, à l’emploi et aux positions sociales les plus valorisées. Si l’ascenseur scolaire reste désespérément en panne, c’est parce que les habitants des premiers étages ne voient pas l’urgence d’une réparation. Faute d’avoir su remédier à des défaillances pourtant amplement documentées, nous en sommes arrivés à une situation de blocage délétère, qui broie aujourd’hui indistinctement élèves, parents, enseignants et ministres.
Dangereux blocage
Au-delà de la crise sanitaire, un constat s’impose : la compétitivité de notre économie, la soutenabilité de notre protection sociale et la cohésion de notre société ne sortiront pas indemnes d’un nouveau demi-siècle de décrochage scolaire et de chômage massif des jeunes.
Les projections démographiques montrent que, dès 2040, les plus de 65 ans seront plus nombreux en France que les moins de 25 ans (Insee, 2021). Notre pays n’a simplement pas les moyens de continuer à laisser 20 % d’une classe d’âge sur le bord du chemin. Sortis de l’école sans savoir vraiment écrire ni compter, dépourvus de formation, empêchés dans l’accès à l’emploi et à l’autonomie, trop de jeunes sont dramatiquement voués aux expédients, à la précarité et à une sourde morosité.
Plus largement, notre pays ne peut pas continuer d’afficher une vitrine démocratique gonflée d’ambitions sociales et affranchie de la réalité économique, tandis qu’il entretient en parallèle un système élitiste et endogame, auto-exonérée des exigences du pacte social.
Réconcilier ouverture et excellence
De l’école à l’entreprise, la France engage plus de 200 Mds d’euros par an dans l’éducation et la formation, soient 10 % de la richesse nationale. De la prime enfance à l’accès à l’emploi et tout au long de la vie, les Français doivent pouvoir s’appuyer sur un système éducatif lisible et performant, fondé sur l’émancipation du citoyen, la transmission d’une culture et l’acquisition de compétences.
En particulier, l’école républicaine n’a pas pris la mesure de l’exigence démocratique qu’impliquaient les mutations économiques et sociales. A titre d’exemple, l’illusion de 80 % d’une classe d’âge au baccalauréat occulte que seuls 40 % des jeunes obtiennent un baccalauréat général, part stable depuis 1995. La massification des effectifs des collèges et des lycées impliquait en effet d’appuyer l’orientation sur un cycle fondamental d’enseignements variés, afin d’assurer le développement des adolescents, d’assumer la diversité des parcours et de porter une ambition d’excellence dans l’ensemble des filières de formation.
A contrario, le collège actuel apparaît comme une simple extension de l’enseignement général du lycée à l’ensemble d’une classe d’âge, conduisant à l’universalisation d’un modèle sélectif et disciplinaire, visant l’acquisition d’un capital culturel et le développement de compétences cognitives abstraites. Ce modèle, s’il correspond à certains enfants, condamne tous les autres à des situations d’échecs répétées dès le début de l’adolescence, au prix de blessures et de perte de confiance.
Comment l’orientation en filière professionnelle, le plus souvent subie plutôt que choisie, pourrait-elle ne pas être ressentie comme une sanction alors que l’enseignement comme la culture de l’école ne sont orientées que vers les filières générales ? Cette sélection par l’échec dévalorise également les compétences humaines et techniques, privant du même coup notre tissu productif des formations adaptées dont il a besoin pour répondre aux exigences de la compétition internationale.
Mettre l’éducation au cœur de la campagne
Interpellés par l’urgence éducative, plus de 80 acteurs de la société civile se sont réunis au sein d’Etats généraux de l’éducation. Au terme de 8 rencontres dans toute la France et de 15.000 contributions sur une plateforme collaborative en ligne, ces travaux ont permis d’identifier 7 défis et 20 propositions pour transformer le système éducatif :
- Investissons dès le plus jeune âge, au lieu de réagir tardivement quand tout est difficile ;
- Soutenons davantage les parents, au lieu de les exclure ou de les culpabiliser ;
- Attirons et fidélisons les meilleurs talents de notre pays au service de l’éducation, au lieu de décourager les vocations éducatives ;
- Diversifions les parcours de réussite, au lieu de sélectionner par l’échec ;
- Réconcilions l’éducation avec le monde et les métiers qui évoluent, au lieu d’opposer l’école et le reste de la société ;
- Aidons les jeunes les plus fragiles à bien partir dans la vie, au lieu de demander plus à ceux qui ont le moins reçu ;
- Faisons confiance aux acteurs de terrain, au lieu de les infantiliser et de tout bureaucratiser.
Ces orientations fédératrices doivent permettre de restituer au débat éducatif son ampleur sociale et sa richesse humaine, au-delà des querelles statutaires et administratives. La question des moyens ne doit pas se substituer à celle des finalités et il est temps que les citoyens français se réapproprient ce débat crucial pour leur avenir commun en replaçant l’éducation à sa juste place : au centre de la campagne présidentielle.
Guillaume Prévost est délégué général de VersLeHaut, le think tank dédié à la jeunesse et à l’éducation, à l’initiative des Etats généraux de l’éducation