Dans le paysage de la protection de l’enfance, les lieux de vie et d’accueil se démarquent. Ils sont incarnés par leurs fondateurs, chargés de créer des environnements où le lien, la stabilité et l’adaptation à chaque parcours sont la priorité.

Près de 400 000 enfants sont concernés par une mesure de protection judiciaire en France. C’est plus que la population niçoise. Parmi eux, 54% vivent en famille d’accueil, en foyer, ou en lieu de vie et d’accueil (LVA). Alternative aux structures traditionnelles d’accueil, il accueille et héberge des enfants et adolescents en situation de vulnérabilité. En France, il en existe environ 400, chacun ayant sa particularité.

Planning des résidents

repères
__ 400 lieux de vie et d’accueil en France
__ Un placement plus stable qu’ailleurs pour l’enfant.
__ Une capacité d’accueil qui ne dépasse jamais 10 enfants.

La Maison des Bois : un lieu incarné par ses fondateurs

Geneviève avait 11 ans lorsqu’elle a imaginé son premier lieu de vie et d’accueil. Sans tout à fait pouvoir se l’expliquer, elle l’avait pourtant dessiné dans ces grands cahiers qui trainaient sur le bureau de son grand père. Alors 40 ans plus tard dont 15 dans le secteur de la protection de l’enfance, elle décide enfin d’ouvrir son propre lieu de vie et d’accueil avec son mari, Iohan : il s’appellera la Maison des Bois.

Ioan et Geneviève veulent créer un environnement familial. La Maison des Bois doit être cet endroit sécurisant, apaisant et structurant, ouvert sur le monde, pour faire grandir l’enfant. Le choix de la Sologne où Geneviève puise ses racines s’impose comme une évidence. 

Ils sont responsables et résidents permanents à la Maison des Bois. Cela signifie que qu’ils incarnent la permanence du lien, une valeur fondamentale pour ces structures sociales. Cette permanence du lien se caractérise assez simplement : les résidents permanents vivent dans la même maison que les enfants. Et aussi simple que cela semble, ce mode d’être et de vivre ensemble est différent de ce que les enfants ont connu auparavant. 

« Notre but est de nourrir d’expériences de vie positives les enfants qui nous sont confiés. » 

Les fondateurs de ces lieux ont tous un vécu, aucun n’est là par hasard. En créant un lieu de vie, ils commencent une deuxième vie.  Tout l’enjeu est de déterminer ce qui, dans leur vécu, qui peut se placer sainement au service des enfants placés. Iohan et Geneviève ont balbutié un peu avant de trouver. « On a fini par comprendre que [notre spécificité] était celle d’accompagner les enfants carencés, ceux qui n’ont rien reçu. » 

Leur surnom, Nasa et Nasu, n’est d’ailleurs pas choisi au hasard. Être une marraine et un parrain, c’est un peu ce qu’ils essayent de faire, « pallier [comme ils peuvent] un empêchement parental de quelque nature qu’il soit » confie Geneviève.  

« Faire de la dentelle »

Sans se substituer aux professionnels de santé, Geneviève explique qu’il faut leur porter un regard clinique pour pouvoir s’adapter à la particularité de chaque enfant tout en restant sur de l’éducatif. Cela se traduit par une éducation profondément adaptée. 

En effet, Geneviève raconte qu’elle se fait par exemple livrer un dentifrice d’Inde pour essayer de sauver les gencives d’une des filles. Quant à Iohan, il dit être dans une forme d’« expérimentation permanente » avec les enfants. Que ce soit dans le comportement à adopter ou dans la réponse à donner : il faut inventer au fur et à mesure.  

« Ce qu’il y a de très intéressant avec mon métier, ce n’est pas le “range ta chambre”, mais comprendre comment ils fonctionnent et trouver des solutions uniques à chacun. »

Derrière chaque geste, chaque action, se cache une intention éducative. Geneviève raconte le cas de Dylan1 qui rentrait tous les soirs de l’école avec le sac à dos plus rempli que le matin. Elle s’est aperçue qu’il volait des jouets. La réponse fut d’abord éducative : rendre les jouets, s’excuser auprès de chaque élève. Puis clinique : comprendre pourquoi il a agi de cette façon et trouver des solutions (souvent uniques) à ce comportement. La réponse n’est jamais punitive. 

Le quotidien constitue le premier outil de travail pour affiner l’accompagnement. Mais l’objectif premier reste de permettre à ces enfants de vivre une vie la plus normale possible en sachant que la seule normalité qu’ils souhaitent est celle d’être avec leurs parents. 

En effet, la politique de protection de l’enfance a longtemps adoptée une logique de séparation et de suppléance des parents dans une perspective plus sanitaire ou juridique des enfants. Mais au tournant des années 1980, on observe un changement dans les modèles d’interventions avec une volonté d’agir sur la situation des parents. La loi du 14 mars 2016 finalise le virage en plaçant l’enfant au cœur. L’objectif est depuis de garantir la prise en compte de ses besoins fondamentaux, et cela passe souvent par un maintien autant que possible des liens affectifs. 

De la Maison des Bois à l’après : accompagner le départ

Les enfants savent qu’ils vont partir un jour, même s’ils ne savent pas forcément quand, ni comment. Les enfants accueillis en LVA ont souvent des parcours de placement plus longs que la moyenne, avec une ancienneté de placement à l’ASE de 5 ans ½. Ils ont conscience qu’une nouvelle rupture peut se produire. Mais les LVA sont les structures (avec les villages d’enfants) qui accueillent pour un temps plus long qu’ailleurs (plus de 2 ans en moyenne), ce qui stabilise alors les parcours.2  

Le passage à la majorité n’est pas un critère de départ du LVA pour le couple ; alors même qu’il est le premier motif de sortie d’un établissement pour les jeunes accompagnés par l’ASE. Sarah, par exemple, était partie à l’âge de 20 ans de la Maison des Bois. C’était pour un centre d’accueil de jeunes majeurs en ville, un lieu plus adapté à la construction de sa vie de jeune adulte.  

Il arrive aussi que Geneviève et Iohan se séparent d’un enfant avant sa majorité. Cela arrive dans 3 cas de figure. Le premier cas, celui d’une transgression massive de l’enfant, reste rare mais possible. Il peut s’agir de comportements qui mettent en péril sa sécurité, celle des autres – enfants ou adultes, voire l’équilibre de la structure. 

Le second, lorsque le couple sent qu’il est arrivé au bout de ce qu’il peut apporter à l’enfant. Après un parcours parfois long et intense, le couple peut ressentir qu’il a donné tout ce qu’il était en mesure de transmettre à l’enfant, et que celui-ci a besoin de nouvelles ressources, perspectives éducatives ou thérapeutiques pour poursuivre son cheminement. 

Le dernier, lorsque la Maison des Bois n’est plus l’endroit où l’enfant peut s’épanouir le mieux. À mesure qu’il grandit ou que ses enjeux personnels évoluent, il peut devenir nécessaire de lui proposer un environnement mieux adapté à son développement. 

Que l’enfant parte avant ou après sa majorité, la priorité est de prévenir la rupture de liens.

Pour les fondateurs de la Maison des Bois, que l’enfant parte avant ou après sa majorité, leur priorité est de prévenir la rupture de liens. Nasa et Nasu ont alors mis en place un système de parrainage entre des adultes de confiance qui connaissent les enfants et ces derniers qui ont accepté de nouer une relation de confiance avec eux. 

La stabilité du LVA permet aux enfants de s’inscrire dans des activités extrascolaires comme le théâtre, le chant ou le sport, et ils rencontrent d’autres adultes dans ces environnements. Une des filles de la Maison des Bois a noué une relation très forte avec une encadrante en chant. Sur son accord, elle est devenue la marraine de cœur. Et Geneviève s’assure que le lien se pérennise : vacances ensemble, temps en binôme… 

Réunion de début de journée

À travers leur approche incarnée et personnalisée, les lieux de vie et d’accueil comme la Maison des Bois donnent aux enfants de la protection de l’enfance l’opportunité de grandir dans un cadre sécurisant et porteur. Plus qu’un cadre institutionnel, elles incarnent une manière de vivre avec l’enfant et de l’accompagner au mieux. 


[1] Pour protéger l’identité des enfants, tous les prénoms ont été modifiés.

[2] Émeline DELAVILLE, « Discontinuité des parcours : quelle protection pour les jeunes accueillis ? », ONPE, 12/2024.

Alexanne Bardet