Les enseignements du dernier rapport du HCFEA
Le dernier rapport du Conseil de l’enfance et de l’adolescence du HCFEA (Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge) ouvre une réflexion sur le caractère éducatif de l’espace public. En confinant l’enfant à des espaces clos – foyer familial, murs de l’école – ne tendons-nous pas à perpétuer une vision étriquée de l’éducation ?
Dans son nouveau rapport intitulé « Quelle place pour les enfants dans les espaces publics et la nature ? Éducation, santé, environnement », le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge (HCFEA) se penche sur un paradoxe contemporain de l’éducation. Nous sommes de plus en plus persuadés des bienfaits du « dehors » pour le développement des enfants mais, dans le même temps, nos modes de vie les conduisent à moins investir les environnements extérieurs et à évoluer dans des espaces résolument étroits.
L’enfant d’aujourd’hui, un « enfant d’intérieur » ?
Ainsi, le rapport note une tendance à maintenir les enfants à l’intérieur. Comme le pointe très justement le sociologue Clément Rivière, l’évolution des usages éducatifs nous a fait passer « d’une époque où la présence non supervisée des enfants dans les espaces publics était perçue comme allant de soi à une époque où ceux-ci ne peuvent plus fréquenter ces espaces que sous certaines conditions1».
Les raisons de ce changement sont à rechercher dans le manque d’hospitalité des espaces extérieurs – dangereux ou du moins jugés comme tels, offrant peu de place pour le jeu libre. Mais le rapport pointe également l’évolution des usages récréatifs ou de communication qui ont tendance à se sédentariser : jeux vidéo, discussions en ligne, et même pratique sportive en intérieur.
Le dehors, un espace résolument éducatif
Le rapport alerte bien évidemment sur les risques en termes de santé physique comme mentale, souvent pointés du doigt2. Mais il rappelle également ce qui se joue dans la rencontre de l’espace public par l’enfant : aller se confronter au réel, découvrir sa capacité d’action sur le monde, apprendre à jauger les risques, faire l’expérience de sa liberté.
« Ces expériences leur offrent une possibilité d’explorer le monde dans ces divers aspects ainsi que de renforcer la conscience, la maîtrise de soi et la confiance en soi » souligne le rapport. Le dehors permet à l’enfant de se confronter à un contexte social moins formel que dans d’autres cadres éducatifs – les règles y sont souvent moins explicites, les figures d’autorité plus difficiles à identifier. Il y prend souvent plus de risques, mais c’est bien cette confrontation au réel qui contribue à lui donner confiance dans sa capacité à les surmonter.
Pour certains enfants, cette opportunité de faire l’expérience de la confiance est d’autant plus importante qu’elle n’est pas forcément offerte dans le cadre scolaire comme familial. La diversité des expériences où l’enfant se trouve directement actif – il doit faire des choix, prendre des initiatives, trouver lui-même du soutien auprès des autres – contribue à lui donner des armes dans ce registre comme nous le soulignons dans notre récente étude Un sérieux besoin de confiance.
Passer sous les radars parentaux
Il s’agit également d’un enjeu d’ouverture de la part des parents. Accepter de perdre une partie du contrôle qu’ils exercent sur leur enfant peut s’avérer difficile dans un contexte où le dehors est surtout appréhendé du point de vue du risque. Un prisme qui peut malheureusement s’avérer délétère pour l’enfant dans la mesure où il « nourrit les angoisses, altère la confiance et impacte le rapport au dehors ».
Cette ouverture peut être facilitée par la possibilité de déléguer temporairement la responsabilité sur l’enfant à des adultes tiers : les autres parents, les gardiens d’immeuble ou de square, les commerçants mais également des « professionnels » tels que les éducateurs de rue, animateurs, bénévoles d’association, etc.
L’action d’associations sportives ou de loisirs sur l’espace public peut remplir cette fonction. A Paris, par exemple, l’association Les enfants de la Goutte d’Or anime un terrain de sport municipal pour permettre une pratique du football encadrée et apaisée. L’association Florimont déploie quant à elle une ludothèque mobile qui vient s’installer au cœur des quartiers pour offrir un espace de jeu animé pour les enfants et les familles.
La présence de ces adultes dans l’espace public est donc un élément clé pour en faire des lieux d’éducation. Plus profondément, le rapport évoque donc la question de la continuité éducative dans les différents temps et espaces investis par les enfants et du lien entre les adultes qui en assument la responsabilité.
La tentation d’une privatisation de l’autorité sur l’enfant peut constituer un obstacle à cette ouverture. L’autorité des adultes a beaucoup à gagner à s’exercer dans une démarche plus collégiale comme nous le soulignions déjà dans notre étude Le sens de l’autorité.
Des politiques publiques en appui
Le rapport constate donc le lien étroit entre l’hospitalité de l’espace public et le soutien aux acteurs en mesure de l’animer. Il formule des propositions en ce sens visant à rendre plus attractifs les métiers de l’enfance et soutenir les associations par des partenariats plus étroits avec les pouvoirs publics et des financements pluriannuels. La pérennisation des initiatives menées sur l’espace public est une condition de la confiance qu’il peut inspirer aux enfants, aux jeunes et aux familles.
L’hospitalité de l’espace public doit également être pensée à la fois du point de vue de la configuration des espaces en tant que tel – rues, parcs, jardins, terrains de sport, cours d’école – qui doivent offrir des opportunités de découvertes, d’exploration, d’interaction pour les enfants. Une consultation des premiers intéressés permet souvent de mieux prendre en compte leurs besoins comme l’illustrent dans le rapport des projets menés à Lyon, à Montreuil ou dans la Marne.
Le rôle des collectivités dans la coordination d’un projet éducatif local apparaît ici central. La prise en compte de l’espace public comme terrain d’éducation invite donc à considérer la question éducative au-delà des frontières parfois étriquées dans lesquelles elle se trouve souvent confinée. Sans remettre en question l’importance des principales institutions que sont la famille et l’Ecole, ce rapport souligne à quel point les pouvoirs publics et les acteurs locaux doivent être mobilisés pour garantir un environnement éducatif favorable3.
Stephan Lipiansky
1 Rivière C., 2021, Leurs enfants dans la ville. Enquête auprès de parents à Paris et à Milan, Lyon, Presses Universitaires de Lyon.
2 Y compris par VersLeHaut ! Voir notamment notre étude Le sport, terrain d’éducation.
3 Cf. la note de décryptage de VersLeHaut Pour une école fédératrice.