Le projet de finances 2025 pour l’Éducation nationale voit la suppression de 5000 emplois d’enseignants, partiellement compensés par la création de 2000 postes d’auxiliaires éducatifs, dans une enveloppe globalement préservée de l’effort budgétaire. L’inévitable joute entre le ministère et les syndicats enseignants occulte pourtant l’ampleur des nécessaires transformations du service public d’éducation.
Au-delà des aléas politiques, cette inflexion est d’abord due à la chute des naissances observée depuis 2015, qui ramènera le nombre d’enfants en âge d’être scolarisés de 12 millions au début de la décennie à 11 millions en 2030. A cette tendance quantitative s’ajoute un effet qualitatif, qui voit le déplacement de l’effort vers des dispositifs destinés à répondre aux difficultés d’insertion des jeunes.
Parmi les postes ministériels, l’Éducation nationale se distingue par la part des salaires, qui représente 94 % des 88 milliards d’euros qui lui sont attribués. A titre de comparaison, les salaires ne représentent que 81 % des 26 milliards de la mission sécurité qui regroupe les crédits de la police, de la gendarmerie ou de la sécurité civile. Au total, à la rentrée 2023, l’Éducation nationale employait 850 000 enseignants pour 11,9 millions d’élèves, soit un enseignant pour 17 élèves dans le premier degré et 11 dans le second degré.
L’école, ce n’est pas que les enseignants
Ces chiffres bruts ne correspondent pas au nombre d’élèves par classe, compte tenu de la répartition des écoles et de l’organisation disciplinaire à partir du collège. Mais ils soulignent le poids du secondaire en France et l’impact à venir des « classes creuses » nées à partir de 2015 : en 2031, ils ne seront que 740 000 à faire leur entrée en 6ème contre 810 000 cette année.
Par ailleurs, le débat éducatif se focalise trop exclusivement sur les enseignants et ignore la diversité croissante des personnels de l’école. En 2023, le ministère employait 190 000 auxiliaires éducatifs, soit quatre fois plus que de professeurs agrégés. Au premier rang de ces personnels figurent les fameuses assistantes des élèves en situation de handicap (AESH) – le féminin est de rigueur pour ce métier féminisé à plus de 95 % – pour lesquelles l’heure n’est pas au déclin démographique, le nombre d’élèves reconnus en situation de handicap ayant triplé en 20 ans. Autre exemple, un récent rapport sénatorial souligne à quel point, contrairement à une idée répandue, le soutien administratif des écoles était trop faible avec 4 emplois en moyenne pour 100 personnels et 1000 élèves, 4 fois moins qu’aux armées ou à l’économie.
En bref, le budget de l’Éducation nationale correspond à des moyens humains, et les besoins humains de l’école ne portent pas forcément en priorité sur l’enseignement.
Extension du domaine de l’éducation
Par ailleurs, l’évolution de notre société voit, de façon discrète mais certaine, un élargissement progressif du service public de l’éducation au-delà des seuls enseignements, au travers de la vie scolaire, des innovations pédagogiques ou des activités périscolaires.
Or, si le budget du ministère correspond aussi exclusivement aux salaires de ses personnels, c’est que les autres dépenses sont largement portées par les collectivités : locaux, entretien, cantine, assistantes des écoles maternelles, etc. Au total, les communes assurent 40 % du financement des écoles primaires, tandis que les départements et les régions portent 20 % de celui des collèges et des lycées.
Les expériences récentes, des dédoublements aux groupes de niveau, montrent qu’on ne peut pas continuer ainsi à construire des politiques éducatives affranchies des moyens nécessaires pour les mettre en œuvre. C’est en particulier le cas pour les enfants issus des milieux populaires, pour lesquels le suivi de la scolarité, le lien avec les familles ou la qualité des activités périscolaires sont déterminants pour la réussite des apprentissages.
Qui prétend encore s’émouvoir d’une baisse de moins de 0,5 % des effectifs enseignants quand l’offre périscolaire différencie de façon aussi flagrante les enfants selon leur résidence ou leur milieu social ?
Hors les murs de l’école, un tissu éducatif fragile
Enfin, l’effort d’éducation doit mieux répondre aux besoins des jeunes qui ne trouvent pas à l’école les ingrédients dont ils ont besoin pour grandir et envisager l’avenir. En généralisant l’accès aux études secondaires, au collège dès les années 1960 puis au lycée à partir des années 1970, la démocratisation scolaire a laissé sur le bord du chemin 15 à 20 % d’une génération. Comme le soulignent Marie Duru-Bellat et François Dubet dans un ouvrage récent, l’échec scolaire est le fruit empoisonné d’un système éducatif qui confond depuis trop longtemps éducation et enseignement, comme si la réussite se mesurait exclusivement à l’aune du diplôme.
C’est pour répondre à cette « emprise scolaire » qu’ont émergé les dispositifs pour les « décrocheurs » : Service militaire adapté en Outre-mer (1961), Écoles de la deuxième chance (1995), Établissements d’insertion dans l’emploi (2005). Depuis 2017, ils ont été multipliés pour repérer les « invisibles », remobiliser les jeunes en difficultés et les accompagner vers l’emploi. Ce sont ces dispositifs, largement portés par le secteur associatif, que le resserrement budgétaire met en danger. C’est là que l’effort public doit se concentrer, notamment en renforçant la diversité et la qualité de l’offre de formation professionnelle dès 16 ans : mieux vaut 100 % d’une génération au brevet que 80 % au baccalauréat.
Au bilan, cessons de mesurer exclusivement notre effort pour la jeunesse à l’aune du nombre d’enseignants, alors même que les viviers de recrutement sont limités dans un marché de l’emploi qualifié de plus en plus concurrentiel. Nos enfants ont besoin d’un collectif d’adultes autour d’eux : des enseignants, bien sûr, mais aussi, des familles soutenues, des éducateurs valorisés, des collectivités mobilisées. Le repli démographique offre des rares marges de manœuvre pour mieux nous porter collectivement au-devant des besoins des jeunes. Serons-nous à la hauteur de l’enjeu ?