Entretien avec Max Roche, président du comité d’organisation des WorldSkills

Lors de la 47ème édition des Worldskills à Lyon en septembre dernier, les visiteurs ont pu admirer 1 400 compétiteurs, originaires de 70 pays différents, âgés de 23 ans … ou moins. Alors que VersLeHaut consacre un cycle d’étude aux questions relatives au travail, nous avons choisi d’interroger Max Roche, président du comité d’organisation, sur l’impact d’un tel événement, notamment auprès des jeunes.

En déambulant dans les allées des Workskills, on observe 15 plombiers parmi les meilleurs du monde travaillant simultanément sur la construction de 15 salles de bain, des équipes de paysagistes créant des jardins à partir de mares et de buissons, ainsi que des coiffeurs, boulangers, infirmiers et réceptionnistes d’hôtel et bien d’autres encore, se mesurant pour illustrer l’excellence de leur profession. 1400 mètres carrés entièrement dédiés à l’artisanat et la technique de 59 métiers différents.


Max Roche a consacré sa carrière au secteur du bâtiment avant de devenir président de la commission formation, éducation et compétences du Medef. Son dernier chantier ne fut probablement pas le plus reposant : il y a deux ans, lorsqu’on lui a proposé de reprendre bénévolement la présidence du comité d’organisation des WorldSkills, il n’avait pas encore pleinement conscience des enjeux logistiques et techniques liés à cet événement exceptionnel qui s’est tenu à Lyon en septembre dernier.

  • Verslehaut : De notre point de vue, les WorldSkills sont en quelque sorte les « jeux olympiques du travail ». Etes-vous d’accord avec cette expression ?

Max Roche : Absolument ! D’autant plus qu’à leur création en 1950 [en réponse à une pénurie de main d’œuvre au lendemain de la seconde guerre mondiale, ndlr] les WorldSkills s’appelaient les « Olympiades des Métiers ». C’est d’ailleurs le mouvement olympique international, propriétaire du terme, qui nous a contraints de changer de nom !

L’idée est la même que pour les JO : offrir à des jeunes excellents dans leur discipline l’opportunité de mettre en valeur leurs compétences et de se mesurer les uns aux autres dans un esprit de compétition.

Le fonctionnement aussi est similaire, bien que les moyens ne soient évidemment pas comparables. Il faut aussi noter qu’à la différence des épreuves sportives qui se mesurent en minutes, les épreuves des WorldSkills s’étendent sur 3 jours, de 9h à 18h.

Nous disposons, nous aussi, d’un comité international. D’ailleurs, parce que ces deux événements se sont tenus en France la même année, nous avons souhaité tirer le meilleur profit de ce parallélisme et avons provoqué une rencontre entre les deux comités. Un programme « Sport & Skills » en a découlé. [Ce programme qui a pour objectif de créer des liens durables entre le sport et les compétences professionnelles, souligne les parallèles entre les compétiteurs des WorldSkills et les athlètes, en mettant en avant les valeurs communes de l’engagement, de l’excellence et de la confiance en soi, ndlr].

  • VLH : Comment les jeunes des 5 continents entendent-ils parler des Worldskills, qui les encourage à entrer en compétition ?

MR : Chaque pays a son propre fonctionnement. Dans le cas français, il faut savoir que l’engouement pour les WorldSkills a germé dès l’origine parmi les Compagnons du Devoir[1]. Les valeurs sont très similaires : celle d’un apprentissage qui s’appuie sur la solidarité, la transmission intergénérationnelle, et la quête d’excellence. Aujourd’hui encore, ce sont les Compagnons du Devoir qui se positionnement comme principaux ambassadeurs de l’événement. Ils encouragent les chefs d’entreprises et artisans à faire participer à la compétition les jeunes qu’ils forment et dont les talents sont prometteurs.

En pratique, les WorldSkills se tiennent tous les deux ans et entre chaque édition, des compétitions régionales, puis une compétition nationale sont menées. Pour participer, il faut avoir moins de 23 ans au moment de la compétition (ce qui implique d’aller les chercher dès 18 ou 20 ans !), et être inscrit comme apprentis en entreprise, CFA[2] ou lycée professionnel. A l’issue de ces épreuves, un champion national est sélectionné pour chaque métier considéré. C’est lui qui concourra aux WorldSkills qui se tiennent tous les deux ans dans un pays différent.

  • VLH : 59 métiers, c’est peu par rapport au total des métiers existants. Comment choisit-on les métiers qui entrent en compétition ?

MR : Le comité international des WorldSkills effectue un travail important de sélection. Les métiers représentés changent mais leur nombre reste fixe. Cela signifie que chaque année, certains sont exclus, d’autres entrent en lice. L’équilibre doit être maintenu entre les métiers de l’industrie et des services, les métiers traditionnels et les métiers « de demain », ceux du quotidien et ceux qui sont moins visibles. On y retrouve le métier d’infirmier comme celui de fraiseur, celui d’ébéniste ou celui d’ingénieur en cybersécurité. Dans tous les cas, les métiers doivent exister dans un certain nombre de pays membres pour faire partie de la compétition. Ce n’est pas le cas du métier de chaudronnier par exemple, qui est fortement représenté au sein de la compétition nationale française car c’est pour nous un métier d’avenir, mais qui n’existe pas ou peu dans d’autres pays, où les compétences de chaudronnier fusionnent avec celles d’autres professions.

En marge des métiers présentés à la compétition, on peut observer quelques métiers dits « en démonstration » : ce sont ceux qui figurent en quelques sorte sur liste d’attente. Cette année, cela a été le cas du métier de couvreur-zingueur[3] ou de tailleur de pierre. Cette dernière profession, qui était tombée en désuétude, a été remise au goût du jour ces dernières années par un renouvellement de techniques et par l’utilisation d’outils numériques. Elle pourrait donc figurer parmi les disciplines en compétition lors de la prochaine édition des WorldSkills qui se tiendra à Shangai en 2026.

  • VLH : Dans un contexte de difficultés de recrutement présente dans de nombreuses filières, les WorldSkills parviennent-ils à susciter un intérêt pour les métiers en tension ?

MR : L’objectif des WorldSkills va clairement dans ce sens : il s’agit de révéler l’excellence de tous les métiers, de rappeler qu’il n’existe pas de hiérarchie entre eux.

Nous avons fortement développé le visitorat scolaire : 60 000 jeunes se sont rendus aux WorldSkills au cours des trois jours de compétition, ce qui représente 600 cars par jour ! Il semblerait que ces élèves aient effectivement été impressionnés par ce qu’ils ont observé. Par les métiers du service par exemple, qu’ils connaissaient déjà mais qu’ils n’avaient jamais observé sous le prisme de la compétition de haut-niveau. Ils ont été marqués par les prouesses de coiffeurs, du service à table, de la boulangerie. D’un autre côté les métiers industriels, qui de premier abord sont moins artistiques ou spectaculaires, peuvent aussi fasciner le jeune public : il y a une certaine magie à observer un jeu vidéo en train d’être créé, ou un carrossier comprendre l’origine d’une panne dans un moteur. Il démontre une maîtrise exceptionnelle de sa technique, dont nous ne sommes pas témoin lorsque nous laissons notre voiture au garage… Il y a également un enjeu pédagogique derrière : à chaque fois, à côté de l’emplacement dédié au compétiteur, des experts et médiateurs expliquent au public ce que le professionnel réalise.

Représenter le métier est bien sûr une manière de le rendre attractif. Au-delà de cela, le jeu de création de filières professionnel est plus complexe. Ce n’est pas parce qu’un métier est représenté aux WorldSkills que l’on ouvre des formations. Cela fonctionne plutôt selon une logique inverse. Le relancement du programme nucléaire en France va par exemple remettre au-devant de la scène les métiers connexes (soudeur, chaudronnier…), dont on a d’ailleurs perdu les savoir-faire au cours des dernières années. En conséquence, la France pousse pour les faire entrer en compétition.

  • VLH : comment envisagez-vous l’avenir des compétitions WorldSkills pour la France ?

Cette dernière édition a été un succès et le talent des médaillés est amplement reconnu à l’issue de cet événement. C’est pour eux un travail de longue haleine, au cours duquel ils ont continué de progresser et d’apprendre. De retour dans leur entreprise, ils sont considérés avec respect. Enfin, beaucoup d’entre eux, qui ont grandi en confiance et en aisance, lancent rapidement sa propre entreprise.

Pour poursuivre cette dynamique, il faut continuer d’encourager les professionnels à présenter des lauréats et en particulier les anciens lauréats devenus formateurs, à faire courir leurs propres apprentis. Si la prochaine édition a lieu à Shangaï, la compétition nationale, qui se tiendra en septembre 2025 à Marseille, peut poursuivre ce travail de valorisation des métiers, notamment auprès des élèves.

La culture des WorldSkills peut encore grandir. Dans certains pays, notamment en Asie, les WorldSkills sont une véritable institution : les lauréats n’ont pas seulement droit à des horaires aménagées et un accès spécifique à certains outils, ils sont dédiés à 100% à la compétition entre deux sessions ! Nous en sommes loin en France, mais nous pourrions déployer des efforts plus importants encore pour faire valoir l’excellence de toutes les filières.

Propos recueillis par Camille de Foucauld


[1] association française d’ouvriers et d’artisans fondée sur un système traditionnel d’apprentissage et de transmission des savoir-faire manuels. Leur formation repose sur le “Tour de France”, un voyage pendant lequel les jeunes compagnons se déplacent dans différentes villes pour travailler avec des maîtres artisans, acquérir de nouvelles compétences, et se former à la maîtrise de leur métier.

Les Compagnons du Devoir regroupent plusieurs métiers comme la menuiserie, la boulangerie, la plomberie, la charpenterie, et d’autres. Ce modèle d’apprentissage met un accent fort sur la solidarité, la transmission intergénérationnelle, et la quête d’excellence dans le travail. En plus de l’aspect technique, les Compagnons valorisent le développement personnel et éthique de leurs membres.

[2] Centre de formation en apprentissage

[3] professionnel spécialisé dans la pose et l’entretien de toitures en métal, comme le zinc, le cuivre, l’aluminium ou l’acier