Gaëlle Bougerol
Après une carrière dans les ressources humaines, Gaëlle Bougerol est élue locale depuis 15 ans en tant que conseillère municipale puis adjointe au maire.
À Yerres, une ville paisible proche de Paris, Gaëlle Bougerol incarne l’engagement local dans l’éducation. Pour elle, l’éducation dépasse largement les salles de classe de l’Éducation nationale, englobant des responsabilités variées, de la petite enfance aux activités sportives et culturelles, en passant par l’inclusion des enfants en situation de handicap. Dans un contexte où les responsabilités des collectivités locales viennent en contradiction avec les décisions centralisées, l’adjointe au maire plaide pour un service public d’éducation à taille humaine.
A cheval sur un affluent de la Seine qui lui a donné son nom, Yerres forme un îlot de quiétude à une demi-heure de RER de Paris. La petite ville offre à ses habitants un havre de verdure, non loin des tumultes du centre administratif et économique de Créteil. Gaëlle Bougerol y est élue depuis plus de 15 ans, conseillère municipale puis adjointe au maire. Elle a embrassé l’action publique après une carrière dans les ressources humaines : « je ne me considère pas faire de la politique, je m’investis parce que j’aime ma ville ».
On pense souvent en France que l’éducation c’est surtout l’Education nationale, son administration, son million d’enseignants. Que vient faire une élue locale dans cette affaire ? En réalité, mille et un aspects du quotidien forment une trame dont on sous-estime l’importance : petite enfance, activités sportives et artistiques, accueil des enfants en situation de handicap, délinquance, soutien aux familles, etc. L’éducation forme un empilement de responsabilités dont il reste difficile d’appréhender les limites et la cohérence : « souvent les projets arrivent d’en haut sans définition très claire », témoigne Gaëlle.
Des actions éducatives complémentaires de l’enseignement
Les actions éducatives sont nombreuses dans la commune, à l’exemple du Conseil municipal des jeunes : « ce projet à destination des élèves de CM2 permet de concrétiser l’enseignement moral et civique dispensé en classe ». Les jeunes candidats mènent leur campagne en septembre et sont élus en octobre. « Ils sont très investis sur des questions concrètes comme l’alimentation, comment fonctionne une restauration scolaire ».
La municipalité intervient aussi sur le temps scolaire en soutien des enseignants, par exemple au travers d’un permis piéton ou d’un permis internet. « Il y a 3-4 ans, nous avons aussi mené un gros travail sur le harcèlement, avant que l’actualité ne mette ce sujet sur le devant de la scène. On a fait un clip vidéo avec les enfants, qu’on diffuse régulièrement dans les écoles et ça accroche bien. Dès qu’on a un problème, on ne laisse jamais filer, on intervient tout de suite ».
Pour Gaëlle, l’essentiel c’est la proximité : « on travaille au niveau très local avec l’inspectrice ». Plus que des changements d’organisation, elle plaide pour un service public à taille humaine : « on a des écoles à trois classes et le rectorat nous pousse à fusionner. Mais on y tient beaucoup, le rapport avec les enfants demande de la douceur ».
L’inclusion à l’épreuve du terrain
Sur le terrain du handicap, la commune est en première ligne, au travers d’une référente qui fait le tour des écoles tandis qu’une infirmière du CCAS accompagne les professionnelles de la petite enfance dans la détection des besoins éducatifs particuliers, et les familles, le cas échéant, dans leurs démarches auprès de la MDPH.
Un épisode l’a marquée : « il y a quelques années on a voulu ouvrir un dispositif ULIS pour les enfants autistes. L’IEN avait eu l’idée, nous aussi, sur le papier c’était merveilleux : un enseignant spécialisé, deux éducateurs, tout pour réussir. En fait, une galère monstrueuse, l’enseignante a été nommée la veille de la rentrée sans savoir où elle débarquait ; on a vu arriver des enfants de très loin qui n’avaient pas eu de place en IME, un enfant de 8 ans qui n’avait jamais vécu en collectivité. Tout a craqué ».
Gaëlle souligne la distance entre les principes et les actes : « on en a souvent plein la bouche du handicap, mais sur le terrain on est complètement abandonnés, et ça c’est terrible, parce que derrière il y a des enfants, des familles, qui sont en souffrance ».
Soutenir et valoriser les éducateurs
La commune s’appuie sur une trentaine d’animateurs, incontournables dans le quotidien des enfants. Gaëlle regrette que leur travail soit pourtant trop souvent laissé dans l’ombre alors qu’ils constituent une ressource précieuse pour soutenir les enseignants et diversifier les apprentissages : « c’est un vrai métier, qui ne consiste pas à garder des gamins et les faire jouer au ballon. Ils présentent un projet pédagogique pour chaque vacance. Ce qui leur manque, c’est justement cette reconnaissance nationale de leur métier ».
La ville s’est attachée à leur garantir un statut et un emploi pour soutenir leur engagement. « A l’exception des surveillants des cantines, ils sont tous titulaires de la fonction publique territoriale, détiennent un BAFA et disposent d’un temps plein annualisé grâce au cumul des matins, midis, soirs et des vacances ».
La ville emploie également une trentaine d’ATSEM dans les petites classes. Leurs tâches sont précisément définies dans une charte co-construite et co-signée par les intéressées et les directions d’écoles : « nous avons décidé d’affecter un emploi à temps plein pour chaque classe de petite section et un emploi pour deux classes en moyennes et grandes sections ».
Pour assurer l’attractivité de ces métiers, de la petite enfance, de l’éducation, du handicap, il reste indispensable de renforcer les perspectives de carrières et l’offre de formation continue : « avec l’IEN, nous envisageons de permettre aux ATSEM de participer à des formations organisées par le rectorat aux côtés des enseignants, par exemple sur la détection et la prise en charge des besoins éducatifs particuliers ».
Prévention de la délinquance et soutien aux familles
Les émeutes de juillet 2023 ont beau avoir été assez calmes à Yerres, le sujet est sensible : « la sécurité constitue un pilier du contrat avec nos habitants, dans un département qui connaît beaucoup d’épisodes de violences et qui détient le record national du nombre de rixes ».
Les policiers ont-ils aussi une mission éducative ? « Oui, mais n’oublions pas qu’ils sont également une cible ! Sur la prévention de la délinquance, nous animons une cellule de veille avec la police nationale et les deux principaux des collèges de la ville ». La commune a aussi ouvert une Maison des jeunes, très pro-active avec ses dix animateurs très à l’écoute des 600 jeunes Yerrois inscrits.
Pour autant, la situation la préoccupe : « on a vu la violence évoluer chez les enfants. Je me souviens d’un jeune de 5ème, très difficile, qui avait jeté des pierres sur les élus lors d’une cérémonie. Je l’ai reçu, avec sa famille, pour comprendre, et lui ai promis de le prendre en stage s’il se conduisait correctement.” Gaëlle conclut avec ses propres incertitudes : “il n’a pas vraiment tenu le contrat, mais bon, on l’a pris quand même, peut-être ai-je eu tort ? Avec les agents du service technique, il a compris qu’il n’aurait pas le dessus et ça s’est très bien passé finalement. Depuis, on a un peu perdu le lien avec la maman. C’est dommage… »
Pour mieux accompagner les familles, le centre communal d’action sociale a ouvert une Maison de la parentalité, qui accueille également les femmes victimes de violences.
Vers un service public local de l’éducation ?
Malgré tout, « les citoyens ont du mal à faire la différence entre le rôle du ministère et celui du maire ». La question financière lui semble cruciale : « la suppression de la taxe d’habitation a fait beaucoup de mal. S’il y a des services publics, il faut que tout le monde ait conscience de participer à l’effort. Rien n’est gratuit, il y a forcément quelqu’un qui paye au bout ».
Alors que les communes financent près de la moitié du budget des écoles, faudrait-il leur donner davantage de responsabilités, y compris sur le temps scolaire ? « Je n’y suis pas favorable, ça créerait des disparités et ce n’est pas notre métier ».
Souvent, une bonne idée à Paris se révèle inadaptée quelques kilomètres plus loin : « en 2014 lors de la réforme des rythmes scolaires on a mené un sondage auprès des habitants qui se sont clairement prononcés pour le maintien à 4 jours. Nous avons donc choisi de ne pas y aller d’autant que nos associations locales restent peu professionnalisées. Les gens travaillent et ne sont pas forcément disponibles en fin d’après-midi pour encadrer les activités des enfants ».
« Les élus locaux ont un vrai rôle à jouer mais on vient les chercher quand il y a le feu à la maison ». Elle appelle à sortir d’une vision trop centralisée, où les idées priment souvent la réalité, d’autant que la succession des crises souligne les limites de politiques éloignées du quotidien des citoyens. « Le mille-feuille, c’est le serpent de mer ! » reconnaît-elle au sujet du partage des compétences entre communes, départements et régions. « L’échelle intercommunale est pertinente pour les grosses infrastructures, mais à la mairie, on fait de la dentelle, la proximité reste la priorité », conclue-t-elle.
Portrait réalisé par Guillaume Prévost