Le centre Henri Aigueperse a publié en mai dernier une étude sur le rôle de l’école dans la revitalisation des territoires ruraux pour l’UNSA Education. Ce rapport, qui se veut prospectif, se fait, en filigrane, l’écho de la vision glaçante de l’avenir du monde rural en vigueur parmi nos élites urbaines depuis l’épidémie de Covid-19.
Cette vision repose sur l’idée que l’avenir de nos territoires résiderait essentiellement dans le développement d’une économie résidentielle (commerces de proximité, artisanat, tourisme, loisirs) pour répondre aux besoins d’une nouvelle clientèle de cadres en télétravail, de propriétaires de maisons secondaires, de néo-ruraux et de retraités fortunés venus de toute l’Europe. En somme une ruralité de carte postale. Une Costa croisière à la campagne. Un rural sans les ruraux.
Que ce phénomène aboutisse à l’éviction des jeunes ruraux de leurs territoires d’origine, obligés de s’enfoncer à l’intérieur des terres ou de quitter leur région du fait du renchérissement du foncier dans les territoires « redynamisés », ne semble poser de problème à personne.
Pas plus que n’émeut qui que ce soit le fait que cette gentrification des campagnes ne « bénéficie » qu’à un nombre limité de territoires (zones de montagne, littoraux, périphéries de certaines villes moyennes), principalement dans la moitié sud du pays. Bien sûr, cette étude note que les ruralités sont diverses et propose ce qu’elle estime être des solutions en faveur du désenclavement (couverture 5G, développement de transports décarbonés) mais on perçoit que ces solutions sont avant tout des réponses aux aspirations des néoruraux. Les aspirations, les besoins, la culture des habitants des zones rurales sont complétement passés sous silence voire méprisés.
Le désir des maires de maintenir leurs petites écoles ouvertes, par exemple, est présenté comme un manque de vision sans jamais prendre en compte l’impact sur le village. Toutes les solutions présentées en la matière vont vers davantage de regroupements et de fermetures de classes.
Le développement rural doit partir des aspirations des ruraux
A lire les auteurs du rapport, le mode de vie des ruraux résulterait uniquement d’un souhait d’échapper à la surpopulation et d’une volonté de se rapprocher de la nature. A aucun moment il ne leur vient à l’esprit qu’on peut être attaché à un territoire parce qu’on y a toujours vécu. La notion d’enracinement, n’est vue que de manière négative, comme un frein à la mobilité sociale et un manque d’ouverture aux autres. Le non-recours aux prestations sociales, loin d’être valorisé comme l’expression de la profonde dignité de ceux qui veulent s’en sortir par eux-mêmes est, lui aussi, présenté comme le témoignage d’un repli sur soi.
Partant de là, on comprend mieux que le seul rôle que l’étude menée pour l’UNSA Éducation fixe à l’éducation en matière de développement rural soit d’« offrir des pistes d’émancipation, d’ouverture aux autres et aux différences et (d’)agir contre le risque de repli sur soi identitaire. »
Pourtant, par-delà ce mépris des ruraux et l’idée d’un développement rural dérégulé qui en est le corolaire, un autre avenir est possible.
Bien sûr, certains territoires doivent être valorisés d’un point de vue touristique à condition de protéger les jeunes du coin. En Corse par exemple, certaines communes leur donnent accès à du foncier à des tarifs préférentiels.
Mais au-delà, si nous voulons bâtir un futur durable pour nos ruralités, cela ne peut passer que par un choc de réindustrialisation. Il s’agit de recréer massivement, sur l’ensemble du territoire, des emplois industriels, y compris faiblement qualifiés. Il s’agit d’aller plus loin que la communication présidentielle sur les 90 000 emplois industriels (dont 75% sont des contrats d’alternance) créés entre 2017 et 2022 (sur un total de 1,7 million d’emplois créés !), il s’agit de permettre à chaque jeune de pouvoir déployer ses talents et choisir sa vie.
On peut déplorer que les jeunes ruraux pauvres envisagent deux fois moins de poursuivre des études supérieures que les jeunes urbains pauvres mais comment espérer qu’ils se projettent dans des métiers d’ingénieurs qui ont disparu de leurs territoires ? Non seulement ils ne peuvent les connaître mais choisir cette voix signifie pour eux décider à 17 ans d’abandonner sans espoir de retour tout ce qu’ils ont connu et aimé ! Si l’on veut que les jeunes de l’Aisne ou de la Creuse envisagent de devenir ingénieurs, il faut en créer davantage dans ces territoires.
Le rôle clef de l’école dans la réindustrialisation
Pour relever ce défi de la réindustrialisation qui est le seul garant d’une véritable cohésion des territoires, l’école a un rôle essentiel à jouer.
D’abord en relevant le niveau des élèves en Mathématiques qui s’est effondré depuis 15 ans. Cela passe par le recours à des méthodes éprouvées (comme la méthode de Singapour1), ainsi que par la sécurisation et la revalorisation du métier de professeur, dont la crise des vocations frappe particulièrement les matières scientifiques (25% de postes non pourvus au CAPES de Mathématiques en 2023). Cela pourrait aussi passer par le développement d’initiatives scolaires innovantes comptables de leurs résultats, comme le réseau Excellence Ruralités, qui développe des établissements associatifs (primaire-collège) laïcs dans les territoires ruraux défavorisés et qui mesure chaque année son impact grâce aux évaluations nationales.
D’autre part, la dévalorisation de la filière professionnelle au sein du système éducatif Français freine considérablement le mouvement de réindustrialisation. Selon l’Observatoire de la Métallurgie, les formations professionnelles ne couvrent que 50% des besoins en recrutement jusqu’à 2030 pour les métiers de chaudronnier, soudeur et technicien de maintenance. Il faut créer une dynamique de réussite et permettre aux jeunes qui le souhaitent de s’orienter en voie professionnelle à partir de la 4ème pour que cette filière ne soit plus celles des élèves en échec.
Former les excellents ingénieurs et les excellents soudeurs nécessaires à la réindustrialisation de notre pays, voilà quel rôle éminent et conforme à sa promesse d’égalité des chances, l’école peut jouer dans le développement rural.
Jean Baptiste Nouailhac, cofondateur et directeur d’Excellence Ruralités