A l’occasion de la publication de sa note économique consacrée à la France, l’OCDE souligne les effets sur la productivité des faibles performances éducatives de la France et préconise de mieux concilier centralisation et autonomie des établissements. L’occasion d’explorer les contradictions de notre système éducatif et de souligner l’importance d’un plus grand respect du principe de subsidiarité dans l’éducation. 

Lors de sa traditionnelle conférence de presse de rentrée, la ministre de l’Education nationale a dressé le tableau d’une école « trop dirigiste et dirigée », pour laquelle la situation politique permettait de « marquer un apaisement dont notre système a profondément besoin ». Ces propos surprenants soulignent le maigre bilan d’une politique incarnée par 4 ministres en deux ans et qui aura vu se succéder pêle-mêle « l’école du futur », « choc des savoirs », ou l’éphémère « école normale du 21ème siècle ». Plus largement, 10 ans après la loi de refondation, la soudaine franchise de Mme Belloubet lève le voile sur une école profondément désorientée par ses chefs. 

Le plaidoyer de l’OCDE pour l’autonomie 

De fait, rien n’illustre mieux cette confusion que l’impénétrable débat sur l’autonomie des établissements. Sujet d’autant plus brulant qu’à l’occasion de récente note économique dédiée à la France, l’OCDE souligne la priorité qui doit être donnée à améliorer les résultats d’un système éducatif « très centralisé » dont les résultats sont proches de la moyenne de l’OCDE mais dont les dépenses sont plus importantes et les inégalités plus marquées. Au travers de la dépréciation du capital humain, les faibles performances éducatives de la France se traduiraient par un recul de 2,7 % de la productivité globale.  

L’OCDE, qui conduit le programme pour l’évaluation des acquis des élèves (PISA), pointe en particulier les trop faibles marges de manœuvre dont disposent les établissements scolaires dans notre pays : « en 2017, 55 % des décisions concernant le premier cycle du secondaire [le collège] sont prise au niveau central contre 24 % en moyenne dans les pays de l’OCDE ». Les résultats du PISA soulignent les effets positifs d’une responsabilité locale accrue vis-à-vis des élèves, des parents et du grand public pourvu que trois conditions soient réalisées : une évaluation régulière des résultats, le renforcement des capacités de direction des établissements et une offre de formation continue adaptée aux besoins des enseignants. 

Un demi-siècle de décentralisation 

L’autonomie n’est pourtant pas une préoccupation nouvelle. Dès 1890, Léon Bourgeois estimait que « le principe de l’uniformité absolue ne répond à aucune nécessité, que la règle peut varier, entre certaines limites, suivant les climats et les régions, les habitudes locales, suivant les besoins et les ressources des divers établissements ». Ce souci de subsidiarité a présidé à la création d’établissements publics locaux d’enseignements (EPLE), qui dotent collèges et lycée d’une personnalité juridique et d’un conseil d’administration, au sein duquel les personnels, les parents d’élèves, les élèves et les collectivités locales sont représentés.  

Les établissements disposent également d’outils sur le plan budgétaire au travers des dotations horaires globales, laissées à la main du chef d’établissements et assortie de « marges d’autonomie » pour prodiguer des enseignements optionnels ou mettre en œuvre les quatre parcours transverses prévus par les programmes : orientation, enseignement moral et civique, éducation à la santé et éducation artistique et culturelle. 

Sur le plan pédagogique enfin, un large droit à l’expérimentation est reconnu depuis la loi pour l’avenir de l’école de 2005, encore renforcé par les dispositions de la loi de 2019 pour l’école de la confiance. A ce titre, tous les collèges et lycées doivent disposer d’un projet d’établissement qui « définit les modalités particulières de mise en œuvre des programmes nationaux, les activités scolaires et périscolaires qui y concourent et les voies et moyens pour associer les parents ». 

Pouvoir ou permettre ? 

L’honneur de celui qui décide, c’est de se porter au service de ceux qu’il a l’immense responsabilité de diriger. Le politique répond aux besoins de l’administration, l’administration répond aux besoins des agents publics, les agents publics répondent aux besoins des citoyens. Pas l’inverse. 

Au bilan, ce que l’éducation peut attendre du politique pour cette rentrée, c’est un peu de retenue.  

Un véritable projet éducatif ne peut être qu’un projet de liberté. Il implique de permettre autant que de diriger, il doit créer les conditions d’une plus grande collaboration entre l’école et son environnement, entre l’Etat et les collectivités, entre le service public et la société civile. Il implique surtout de faire confiance : aux chefs d’établissement, aux enseignants, aux éducateurs, aux parents. Aux enfants surtout que la société n’a de cesse de rendre responsables de ses maux, des écrans au harcèlement.  

En 2017, arrivant rue de Grenelle Jean-Michel Blanquer faisait le juste constat d’une perte de confiance et la promesse de ne pas ajouter une nouvelle loi au fardeau de l’école. Deux ans plus tard était publiée la loi pour « une école de la confiance ». Qui s’étonne encore de la défiance ? 

De la loi à la réalité 

Bref, il semble que l’éducation nationale soit bien loin du mastodonte homogène et centralisé que l’OCDE dépeint. Et en effet, un rapide regard sur un demi-siècle de politiques scolaires montre que les réformes successives n’ont fait qu’accroitre les instruments d’une plus grande initiative laissée aux acteurs de terrain. 

C’est qu’en France, on surestime souvent le pouvoir de la loi tandis qu’on méconnaît les facteurs politiques, administratifs, culturels qui s’interposent entre la volonté du législateur et la réalité. Faute de responsabilités locales claires, la décentralisation n’a conduit qu’à l’impuissance publique, fragmentée en compétences administratives et privée de vue d’ensemble : comment construire un véritable projet éducatif local quand la compétence de la commune s’étend aux écoles élémentaires et aux activités périscolaires, celle du département au collège et au handicap et celle de la région à l’orientation, à l’apprentissage et au lycée ? Tout ceci bien sûr tandis que l’Etat conserve une compétence exclusive sur l’enseignement. Qui s’étonne donc que les collectivités siègent aussi peu dans les CA des établissements ? 

Par ailleurs, les outils de l’autonomie, juridique et budgétaire s’arrêtent à la porte de l’école élémentaires. Héritières des grandes lois scolaires qui prévoyaient une école dans chaque commune, contraintes par la nécessaire proximité avec le domicile des enfants, on compte plus de 50 000 écoles disséminées dans toutes la France, dont la moitié compte 5 classes au plus. Dans ces conditions, ce sont souvent des enseignants partiellement déchargés qui assument une direction surtout administrative. La culture collégiale du primaire explique aussi les fortes réticences des enseignants devant la perspective de voir le collègue se transformer en supérieur hiérarchique. 

La politique à l’école de l’humilité 

Autonomie ou centralisation ? Au bilan, la question est plus complexe qu’il n’y paraît. La polémique sur les groupes de niveaux a fourni une éclatante illustration des contradictions du débat quand le Gouvernement se mêlait soudainement d’organisation pédagogique et les syndicats défendaient l’autonomie des établissements.  

L’autonomie des établissements est souvent perçue par les syndicats enseignants comme le cheval de Troie d’une privatisation rampante de l’Education nationale, qui verrait la mise en concurrence des établissements, le renforcement de la ségrégation sociale et la mise au pas des enseignants dans un système hiérarchique inspiré des entreprises privées. Nombreux sont ceux qui voient dans une administration centralisée les meilleures garanties d’une défense des principes du service public et d’une protection de leur statut. Difficile de leur donner complètement tort devant le spectacle de l’agitation et de la confusion politique. 

Plutôt que d’opposer autonomie administrative, budgétaire ou pédagogique, il convient de s’interroger sur les leviers pertinents pour redonner à notre système éducatif les indispensables marges de manœuvre pour mieux répondre aux besoins des enfants et de leur famille. Ces leviers tiennent probablement moins à l’activisme du Législateur qu’à un meilleur dialogue avec les collectivités, qu’à un souci accru de ménager les indispensables marges d’initiatives locales, qu’au respect du temps long qui est celui des politiques éducatives.  

Guillaume Prévost, délégué général de VersLeHaut