Sur le terrain avec Année Lumière
De manière régulière, VersLeHaut va à la rencontre de personnalités, d’initiatives collectives qui font bouger l’éducation. Ces rencontres, riches et variés, nourrissent nos réflexions, indéniablement, et renforcent notre conviction que les solutions existent déjà pour répondre à la crise éducative. Sur le terrain, beaucoup d’initiatives formidables voient le jour. Nous souhaitons leur donner la lumière et inspirer ceux qui souhaitent construire l’éducation de demain !
Pour Année Lumière, première école højskole de France, nous nous sommes rendus à Lyon alors même que la fin de l’année scolaire pointait le bout de son nez. Certainement que vous vous posez alors la même question que nous… Pourquoi diable y aller en fin d’année ?
Ou alors était-ce plutôt cette question que vous vous posiez : qu’est-ce donc qu’une « højskole » ?
S’il s’agit d’une anomalie en France, elle est une réalité très répandue dans les pays scandinaves. Fondée au 19e siècle par l’évêque Grundtvig, ce style d’école se base sur un principe d’apprentissage par le dialogue, l’interaction sociale et l’expérimentation. Dans cette école, pas de diplôme mais du temps pour des jeunes, entre 16 et 25 ans, qui se questionnent et souhaitent construire leur projet d’avenir.
Choisir son avenir, quelle angoisse !
Qui n’a jamais éprouvé un moment de remise en question, se demandant s’il était sur la bonne voie ou s’il commettait une erreur dans ses choix professionnels ou personnels ?
Il est courant d’avoir des doutes quant à ses choix d’orientation. Choisir son avenir nécessite d’abord une profonde connaissance de soi : qui sommes-nous réellement, quelles sont nos aspirations, nos forces ?
Les jeunes ont de plus en plus peur du « choix enfermant ». Et inversement, ils sont de plus en plus attirés par le fait de vivre des expériences. Alors à l’Année Lumière, au travers d’un parcours de cinq ou neuf mois, l’objectif est de leur donner le temps nécessaire pour prendre des décisions éclairées et pertinentes concernant leur avenir, et faire des choix en toute confiance.
Pour y parvenir, le temps ne suffit pas. Il convient également d’évoluer dans un environnement favorable : des ressources mais aussi le soutien des adultes et du groupe. Un des jeunes rencontré durant notre journée chez eux nous a dit que « ce qui créé de la cohésion, c’est l’intention d’aller de l’avant, de trouver des solutions ensemble. »
Une brique complémentaire dans leur parcours de formation
Cette forme de parenthèse utile – et nécessaire ? – prouve, à chaque nouvelle promotion d’élèves, qu’elle est complémentaire de la formation, quel que soit le parcours du jeune.
Ils sont « décrocheurs », bacheliers, en recherche d’une réorientation, déjà diplômés, en année de césure, malades, en burn-out, anciens de l’aide sociale à l’enfance ou tout juste sortis de prison… Ils sont tous différents et cette diversité fait partie de l’identité du programme. Cela leur permet de se rendre compte de qui ils sont par la différence ; mais aussi qu’ils ont toujours des choses à partager qu’importe leurs différences. Ce qui compte par dessus tout, c’est que « tout le monde est là de son plein gré », nous dit le même jeune.
Pour permette à cette brique complémentaire d’être la plus utile possible, l’accompagnement est articulé autour de trois axes fondamentaux :
Cela vous rappelle peut-être quelque chose… Chez VersLeHaut aussi on explore ces 3 dimensions dans le cadre du cycle d’étude « Partageons les clefs de la confiance » :
A l’Année Lumière, la dimension de confiance est centrale dans la pédagogie proposée. Les jeunes apprennent à faire groupe avant même d’apprendre à se connaitre davantage. Ils font tomber les murs qui les séparent les uns des autres. Matéo[i] l’exprime en ces mots : « C’est la première fois que j’ai pu avoir confiance dans le groupe, et ça m’a autant donné confiance en moi qu’en l’avenir. Une confiance en nourrit une autre, en tout cas, c’est la vision qu’on en a. »
La mise en œuvre d’une pédagogie active et expérientielle permet un passage à l’action se concrétisant surtout au travers des périodes d’immersion – stage ou service civique – qui constituent un des piliers du parcours.
Cet engagement du jeune devient un véritable levier pour stimuler sa confiance en lui. C’est en tout cas ce que l’équipe pédagogique observe au fur et à mesure des promotions et au travers des évaluations croisées par les pairs – des évaluations réalisées en fin de mission, notamment pour qu’ils puissent analyser ce qu’ils en ont tiré.
Ouverture et diversité pédagogique : un accompagnement « sur-mesure »
Dans cette école højskole, la prise en compte pleine et entière du jeune (intellectuelle, émotionnelle, relationnelle, affective…) requiert une certaine flexibilité en fonction des besoins et attentes de chacun. En effet, à l’accompagnement en collectif – par groupe de 20 – s’ajoute un accompagnement individuel avec un référent pédagogique et un coach d’orientation.
Pour structurer le parcours et la pédagogie, les programmes sont construits autour d’un tronc commun et de quatre parcours d’ouverture (Culture, Sciences & Techniques, Prendre soin de soi, Citoyenneté) qui structurent les activités proposées au quotidien (ateliers, projets de groupe, etc).
Chaque année, en fonction des jeunes et de leurs envies, ce ne sont pas forcément les mêmes partenaires ou les mêmes ressources qui sont mobilisées. Alors, en plus de la diversité pédagogique, s’ajoute l’ouverture sur l’extérieur. Ce sont environ 35 intervenants issus du territoire et spécialistes des sujets sur lesquels les jeunes veulent s’investir qui les accompagnent durant l’année.
Alors finalement, le choix de rester une petite équipe pédagogique s’est imposée comme une évidence. Ils sont 6 actuellement : un psychologue, une assistante de service social qui a fait de l’insertion professionnelle, une médiatrice qui a travaillé dans les collèges, une ancienne DRH qui est coach certifiée, et Claire Bleton-Martin, la directrice, qui est docteure en sciences de l’éducation. Cela leur permet de tisser une relation privilégiée et de confiance avec les élèves tout en les amenant vers la découverte d’autres métiers, d’autres personnes…
Un cadre est posé et des règles doivent être suivies mais cela n’empêche pas les élèves de tutoyer les adultes et à ces derniers de manger côte à côte avec eux. Une forme de bienveillance règne. Les jeunes ne se sentent pas comme des apprenants face à des sachants, mais plutôt dans une relation réciproque où chacun peut apporter à l’autre.
Cette ouverture se fait également sur les autres, sur les pairs. Nous parlions de diversité dans les profils, mais il ne s’agit pas que de cela. Les jeunes font d’un groupe, d’un collectif, ce qui constitue une pierre angulaire dans la réussite de leur année. Bénédicte exprime par exemple que « chacun arrive avec ses peines et ses souffrances » mais qu’ils se sont « confiés très facilement et ont partagé assez naturellement ». D’autres ont également verbalisé le fait que « voir l’optimisme et la bienveillance des autres, ça donne confiance ».
Une année marquante
La fin de l’année scolaire concerne également les jeunes de l’Année Lumière. Notre visite tombait au bon moment car nous avons eu le privilège d’assister aux oraux de fin de programme de certains d’entre eux. Un moment émouvant et intense, autant pour les élèves que pour les membres du jury.
Ce rituel marque la fin de leur parcours d’accompagnement de 3 ou 9 mois à l’Année Lumière mais également le début d’une nouvelle période de leur vie. En retraçant le fil de leur expérience, de leurs apprentissages, leurs rencontres, et en présentant leurs projets d’avenir, chaque jeune rend compte de la manière dont il a grandi. Pour les adultes qui l’ont accueilli quelques mois auparavant, l’évolution est souvent saisissante.
Toutes et tous expriment que cette année de césure fut une expérience marquante dans leur vie. D’ailleurs, Claire Bleton-Martin n’hésite pas à dire qu’« à l’Année Lumière, on fait certes de la formation, mais nous accompagnons aussi la transformation », ce qui souligne l’approche intégrale de l’accompagnement proposé à chaque jeune.
Nous avons d’ailleurs animé un atelier dédié au thème de la confiance des jeunes durant cette journée. Et à la première question portant sur le résumé de leur année, les trois mots clefs qui sont le plus ressortis sont : émotions, rencontres et confiance. De quoi encourager le déploiement des écoles højskole en France…
Alexanne Bardet
[i] Tous les prénoms des élèves ont été modifié pour préserver leur anonymat.