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« Il n’est de richesse que d’hommes » écrit le légiste Jean Bodin au sortir du Moyen-âge. Si c’est le cas, notre avenir s’écrit en pointillé et les débats qui agitent notre pays, immigration, protection sociale, réindustrialisation, manquent dramatiquement leur cible.

D’après une récente étude publiée par The Lancet, la chute de la natalité pourrait diviser de moitié la population de l’Europe d’ici la fin du siècle. Dès 2050, l’ONU prévoit une baisse de la population active européenne de 50 millions de personnes et une hausse correspondante des plus de 65 ans. En France, la chute soudaine des naissances depuis 2015 bouscule les perspectives d’un pays qui avait appris à compter le dynamisme de sa population au rang de ses rares atouts.

« Grands remplacement », « réarmement » ou « créollisation », la campagne qui s’ouvre oppose trois visions antagonistes du défi démographique. Il s’agit pourtant moins de se féliciter ou de s’alarmer que d’identifier des conclusions déterminantes pour notre avenir.

Préparer l’ère des grandes migrations

Primo, nous entrons dans une ère de migrations sans précédent. Si le recul de la natalité est universel, lié à la contraception et à l’éducation, sa temporalité reste très différenciée. Un siècle environ sépare l’Europe, première en deçà du renouvellement des générations, des continents dont la fécondité ne devrait franchir ce seuil qu’à partir de 2080. A cette date, la moitié de l’humanité pourrait être née en Afrique ou dans le sous-continent indien.

Les barrières érigées face au mouvement des hommes seront peu de chose entre une Europe à 200 millions d’habitants et une Afrique à 2 milliards, surtout si le climat y entraine une baisse des rendements agricoles. Dans ces conditions, la question est moins de juger du caractère souhaitable ou non de l’immigration que de se doter des instruments pour y faire face. Les tensions sociales et politiques qui paralysent d’ores et déjà notre capacité collective montrent que nous n’avons malheureusement pas pris la mesure du sujet.

Désamorcer le conflit des générations

Secundo, la démographie bouleverse le rapport entre les générations. Dès 2030, les plus de 65 ans seront plus nombreux en France que les moins de 25 ans. L’inversion de la pyramide des âges implique une charge croissante pour financer des biens publics majoritairement consommés par les plus âgés. En 2024, retraites et santé représentent déjà 45 % de la dépense publique, en hausse de 6 points depuis 30 ans, loin devant l’enseignement (9 %, -1 pt) ou le soutien aux familles (3 %, -1 pt).

Cette situation précarise l’équilibre sur lequel est fondé notre modèle social, d’autant que la prise en charge de la dépendance épuise les familles, humainement et financièrement. Une société vieillissante ne signifie pas forcément une société déclinante pourvu que nous nous attachions à désamorcer le conflit des générations en préservant la rémunération du travail.

Libérer la jeunesse de la course au diplôme

Tertio, la raréfaction de la jeunesse souligne les impasses d’un système éducatif devenu une aveugle gestion de masses. A l’école de « la réussite pour tous », les jeunes Français sont désormais scolarisés pendant plus de 18 ans, de 3 à 21 ans en moyenne, et leur niveau réel continue pourtant de s’affaisser, en compréhension de l’écrit comme en culture scientifique.

Alors que les employeurs peinent à recruter, le lien entre études et création de richesse apparaît de plus en plus ténu. Plus de la moitié d’une génération est désormais diplômée du supérieur, près du quart d’un niveau bac +5, tandis que le taux d’emploi des jeunes reste inférieur de plus de 7 points à la moyenne de l’OCDE.

Une société vieillissante ne peut s’offrir le luxe de mettre ainsi sa jeunesse en difficultés. La situation appelle un renouveau éducatif, en soutenant mieux les familles, en promouvant davantage l’engagement et la prise de responsabilités, en permettant à chacun d’acquérir la confiance sans laquelle nul ne peut envisager l’avenir. S’il n’est vraiment de richesses que d’hommes, c’est en s’appuyant sur chacun de ses enfants que la France relèvera les défis du siècle.

Guillaume Prévost, délégué général

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