L’enfant de moins de trois ans ne se voit pas encore proposer des enseignements à proprement parler. Néanmoins, ces premières années constituent une période privilégiée en termes d’expériences nouvelles et de développement cognitif et moteur. A ce titre, elles constituent un cycle d’apprentissages décisifs de la naissance jusqu’à l’âge de six ans.

Notre connaissance du développement du jeune enfant a beaucoup progressé ces dernières décennies. De ce fait, nous acquérons petit à petit la conviction profonde que certains acquis de la petite enfance préparent favorablement les enfants à aborder avec confiance la suite de leur parcours éducatif. Cependant, nous prenons conscience également que la diversité des expériences vécues par les enfants à cette période de leur vie génère des inégalités qui peinent parfois à être résorbées, voire même atténuées, après leur entrée à l’école. Prenons le temps d’explorer ce qui se joue dans ces premières années pour prendre conscience de l’aventure que constitue l’itinéraire du jeune enfant.

La plasticité et l’immaturité du cerveau du bébé : les sources d’un développement cérébral exceptionnel

La spécificité du développement du jeune enfant passe en premier lieu par celui de son cerveau. Bien des choses s’y passent, y compris avant sa naissance. Ce n’est pas sans raison que les « 1000 premiers jours » commencent dès la grossesse.

Dans le ventre de la mère (in utero)

Le cerveau du futur bébé est en pleine construction dans le ventre de sa mère. Les premiers neurones se forment dès les premières semaines. Au quatrième mois de grossesse, leur nombre est déjà de cent milliards et augmente au rythme vertigineux de 5 000 nouveaux par seconde.

À la fin du deuxième trimestre, le fœtus commence à recevoir des informations sensorielles. Il est alors dans la capacité d’être impacté par son environnement.

Il réagit, commence à identifier des sons, des voix. Il différencie déjà certains phonèmes comme ont pu le révéler des expériences menées sur des nourrissons prématurés[1].

À partir de la naissance

Quand le bébé naît, son cerveau est immature. Il possède déjà tous ses neurones mais ceux-ci n’exploitent pas l’ensemble de leur potentiel.

Par les premières interactions avec son environnement répondant à ses besoins et sa stimulation, l’enfant va peu à peu renforcer l’ensemble de ses réseaux neuronaux. Les réseaux de neurones augmentent de façon exponentielle au cours des 1000 premiers jours.

Plus une action est répétée plus la connexion neuronale à laquelle elle est associée va se renforcer et à l’inverse, une connexion non stimulée va disparaître. Ce processus s’appelle l’élagage synaptique : il a lieu entre 2 et 3 ans et au début de l’adolescence. La recherche démontre que la capacité d’apprentissage du cerveau ne se développe que si les processus mentaux de l’enfant sont suffisamment stimulés dès le début de l’existence.

Cette capacité de création et de modification des connexions neuronales dans le cerveau pour faire face à de nouvelles situations – positives comme négatives-, est ce qu’on appelle la plasticité cérébrale. Cette dernière est nettement plus affirmée durant la toute petite enfance.

La plasticité cérébrale permet au cerveau de se modifier selon les expériences et apprentissages de l’enfant. Un traumatisme ou une épreuve pourront être également plus facilement surmontés à cette période de la vie. En effet « la plasticité cérébrale, psychologique, est telle qu’un bébé est très facile à blesser, mais rattrapable si l’environnement est favorable » nous renseigne le neuropsychiatre Boris Cyrulnik[2].

Le développement du jeune enfant dans ses différentes dimensions

Durant cette période singulière, chaque nouvelle expérience va contribuer fortement à modeler son cerveau et à lui faire acquérir petit à petit des capacités qu’il pourra ensuite exploiter sans efforts. On rentre ici dans le domaine visible du développement : se mouvoir, puis marcher ; babiller, puis parler ; découvrir l’autre, puis construire avec lui des relations. Petit aperçu des domaines du développement du jeune enfant et de la façon dont il contient les germes de ses apprentissages futurs…

Le développement moteur

Durant ses premières années de vie, l’enfant va progressivement développer des compétences motrices qui vont lui permettre d’accéder à une mobilité accrue – dont l’étape symbolique de la marche – et à une maîtrise progressive d’un certain nombre de gestes précis qu’on range sous l’appellation de motricité fine.

Cette dimension du développement de l’enfant participe ainsi de l’acquisition précoce de dispositions et de capacités qui faciliteront son bien-être et ses apprentissages futurs. Ainsi, des études récentes ont pu démontrer que les compétences motrices développées durant l’enfance influencent la santé future de l’enfant en conditionnant notamment son niveau d’activité physique au cours de sa vie. De la même façon, un bon développement des capacités associées à la motricité fine facilite les apprentissages fondamentaux par la suite – lecture, écriture, mathématiques – et la réussite scolaire plus générale[3].

Développement langagier

Dans son parcours éducatif, l’enfant est rapidement invité à mettre en application ses compétences langagières au service des apprentissages et de la relation avec ses pairs et les adultes. Entre 0 et 3 ans, il va faire d’immenses progrès aussi bien du côté de la compréhension que de l’expression. L’enfant passe par des étapes successives durant cette période même si les différences individuelles se révèlent importantes.

 

Cette période est en effet caractérisée par de grandes inégalités entre enfants qui recoupent bien souvent des inégalités socio-économiques des familles[4]. Comme l’explique Sophie Kern, chercheuse en psycholinguistique développementale, « il existe bien une différence de maîtrise du langage selon le milieu social des tout-petits. Et cette différence est clairement liée à ce que les enfants entendent autour d’eux dans leurs premières années[5]. »

Ces inégalités sont d’autant plus préoccupantes qu’elles tendent à se maintenir dans la suite du parcours scolaire. Comme le note la psycholinguiste Michèle Kail « la vitesse de reconnaissance des mots entre 15 et 25 mois est un bon prédicteur des performances langagières – sémantiques et syntaxiques – et de la mémoire de travail examinées sur les mêmes enfants à l’âge de 8 ans[6]. »

Ce qui importe ? S’adresser directement aux jeunes enfants, parler avec eux même lorsqu’ils n’ont pas encore la capacité de répondre. C’est ce qu’a démontré une étude influente menée par deux psychologues américaines[7].

Développement socio-émotionnel

Dès ses premières années de vie, l’enfant va être plongé dans un univers d’informations émotionnelles et sociales particulièrement complexe qu’il va devoir apprendre petit à petit à apprivoiser. Exprimer, comprendre et réguler ses propres émotions n’a rien d’inné pour l’enfant.

Dès ses premières années de vie, l’enfant va être plongé dans un univers d’informations émotionnelles et sociales particulièrement complexe

Cet apprentissage est profondément associé à celui de sa relation aux autres, ses parents en premier lieu, avec qui l’enfant va devoir apprendre à interagir en se conformant à des codes spécifiques aux groupes dans lesquels il est plongé. Ce domaine du développement socio-émotionnel tire donc son unité du lien profond entre émotions et relations.

Ainsi, le nourrisson âgé d’à peine quelques mois apprend à identifier chez l’autre les émotions ressenties – la joie, la peur – sur la base de leurs expressions faciales par la suite associées à des vocalisations – le rire, un cri.

C’est à un an environ que ces réactions émotionnelles chez les adultes entrainent chez l’enfant des comportements en retour. Il forme à cette même période des associations entre des expériences et des émotions – l’échec dans une tâche génère de la frustration par exemple. Un peu plus tard encore, l’enfant apprendra à nommer les émotions qu’il ressent ou qu’il constate chez l’autre[8].

La capacité de l’enfant à réguler ses propres émotions, à interpréter les états émotionnels des autres, à adapter son comportement en conséquence, à agir conformément aux attentes sociales va souvent se révéler déterminante dans la suite de son parcours, en particulier à l’école. L’impact sur la réussite scolaire de ces capacités non-cognitives a fait l’objet de nombreuses études probantes ces dernières années[9].

 Le développement cognitif et les fonctions exécutives

La réussite éducative future de l’enfant se révèle ancrée dans sa faculté à aborder les apprentissages formels avec un degré suffisant de confiance dans ses capacités, en particulier sur le plan cognitif. Depuis quelques années, la recherche s’est tournée vers l’importance en particulier de certaines dispositions appelées fonctions exécutives.

Les différents apports théoriques récents conduisent à distinguer quatre principales fonctions exécutives : la mémoire de travail, l’inhibition, la flexibilité mentale et la planification[10]. Étroitement interconnectées, ces habiletés cognitives puisent largement leurs racines dans la petite enfance.

En premier lieu, la mémoire de travail permet à l’enfant de retenir une information utile – une règle de grammaire par exemple – et de la réutiliser plus tard dans un contexte approprié. L’inhibition lui offre l’opportunité de ne pas se laisser distraire ou perturber par des informations non pertinentes dans la tâche qu’il cherche à accomplir. La flexibilité mentale renvoie à sa faculté de passer d’une tâche à une autre en mettant en œuvre les actions nécessaires face à l’émergence d’une situation nouvelle – et ainsi de s’engager dans des activités complexes. Enfin, la disposition à planifier désigne sa capacité à anticiper les comportements dont il aura besoin pour poursuivre ses objectifs. Les fonctions exécutives commencent à se structurer dès la toute petite enfance.

Ainsi, dès la fin de sa première année d’existence, le jeune enfant développe des capacités cognitives qui lui permettent, par exemple, de maintenir une attention soutenue, de sélectionner et mémoriser certaines informations. La mesure précoce de ces capacités nous renseigne déjà sur la maîtrise future des fonctions exécutives[11]. Par la suite, ces capacités continuent de se développer. Elles peuvent être renforcées par le développement du langage qui facilite la formulation des objectifs et la représentation des problèmes dès les premières années.

Les fonctions exécutives, particulièrement importantes pour le parcours scolaire, commencent à se structurer dès la toute petite enfance

Le jeune enfant est déjà une personne

Les développements moteur, cognitif, langagier ou socio-émotionnel ne sont pas indépendants. Dès la toute petite enfance, ces apprentissages pour le moins fondamentaux s’alimentent mutuellement pour paver la voie des suivants. Ainsi, la maturité scolaire, la capacité de l’enfant à entrer dans les apprentissages et à trouver sa place dans la petite société que constitue l’école, s’appuie sur son aisance à manipuler le langage, son niveau de maîtrise de la motricité fine, sa capacité à comprendre les émotions des autres, à réguler les siennes autant que sur ces facultés strictement cognitives.

Le développement du langage de 0 à 4 ans et plus

Notre degré de connaissance du développement du jeune enfant suggère qu’il est dépendant à la fois de facteurs génétiques mais également environne-mentaux sans qu’il soit aisé de déterminer la part de chacun. A ce titre, une attention toute particulière semble devoir être portée à l’étude de l’environne-ment du jeune enfant et, en particulier, à la nature et la qualité des interactions et relations développées dans ses premières années de vie.

L’enfant de moins de trois ans ne se voit pas encore proposer des enseignements à proprement parler. Néanmoins, ces premières années constituent une période privilégiée en termes d’expériences nouvelles et de développement cognitif et moteur. A ce titre, elles constituent un cycle d’apprentissages décisifs de la naissance jusqu’à l’âge de six ans. Notre connaissance du […]

[2] Youtube. (17 septembre 2019). Pourquoi les 1000 premiers jours ? B. Cyrulnik, Disponible sur : https://youtu.be/LyxGANQYBUQ
[3] Les références des études en question sont mentionnées dans le dossier d’étude 215 de la CNAF, Revue de littérature sur les politiques d’accompagnement au développement des capacités des jeunes enfants.
[4] Grobon, Sébastien, Lidia Panico, and Anne Solaz. “Inégalités socioéconomiques dans le développement langagier et moteur des enfants à 2 ans.” Bulletin épidémiologique hebdomadaire 1 (2019): 2-9..
[5] Propos recueillis et cités par Florent de Bodman dans A portée de mots. Parler avec son bébé peut changer sa vie, Autrement, Flammarion, 2021.
[6] « L’acquisition du langage oral », in Eve Leleu-Galland et Florence Samarine, Comment l’enfant entre dans les apprentissages, Nathan, 2023
[7] Weisleder, Adriana, and Anne Fernald. “Talking to children matters: Early language experience strengthens processing and builds vocabulary.” Psychological science 24.11 (2013): 2143-2152.
[8] Ruba, Ashley L., and Seth D. Pollak. “The development of emotion reasoning in infancy and early childhood.” Annual Review of Developmental Psychology 2 (2020): 503-531
[9] On peut se référer notamment à : Khine, Myint Swe, and Shaljan Areepattamannil, eds. Non-cognitive skills and factors in educational attainment. Springer, 2016.
10] Duval, Stéphanie, Caroline Bouchard, and Pierre Pagé. “Le développement des fonctions exécutives chez les enfants.” Les dossiers des sciences de l’éducation 37 (2017): 121-137.
[11] Hendry, Alexandra, Emily JH Jones, and Tony Charman. “Executive function in the first three years of life: Precursors, predictors and patterns.” Developmental Review 42 (2016): 1-33.