La prise de parole en public cristallise plusieurs enjeux propres au développement de la confiance chez les jeunes. En soi, bien entendu, mais également dans les autres. Prendre la parole expose et place dans une situation de vulnérabilité vis-à-vis de son auditoire. A l’heure où le baccalauréat redonne une place plus officielle à l’oralité dans leur parcours éducatif, l’exemple des ateliers de prise de parole menés sur le temps scolaire nous fournit l’occasion de continuer à décrypter les sous-jacents de la confiance des jeunes.

Prendre la parole en public. Pour une bonne partie des élèves de 4ème de ce collège du Val-de-Marne qui participent ce matin-là à un atelier proposé par l’association Eloquentia, la démarche n’a rien d’évident. Quand l’animatrice pédagogique, Elise Wagner, sonde le petit groupe, les raisons sont formulées clairement : « c’est gênant », « on a l’impression d’être jugés ». Certains s’affichent volontiers plus à l’aise. Mais, au moment de devoir parler devant les autres, la gêne se manifeste tout de même : un regard qui fuit, des mouvements parasites, quelques rires qui hachent les tirades.

Durant deux heures, ils auront l’occasion de s’exprimer malgré tout, la plupart d’entre eux auront acquis une expérience précieuse, quelques conseils sur leur posture, des petites astuces pour conférer de la robustesse à leur argumentaire. Ils auront en tout cas disposé d’un cadre propice à l’expression personnelle et à l’écoute, installé progressivement par un jeu de mise en condition – le « zip zap » – et par le recours à une situation fictive – un scénario où les passagers du Titanic en plein naufrage doivent convaincre qu’ils méritent une place dans une chaloupe – favorisant la créativité et la mise à distance dans l’expression. Une expérience singulière au regard du quotidien de ces collégiens.

Des compétences orales peu valorisées 

Le système éducatif français n’accorde en effet pas une place centrale à l’oral. Ce déséquilibre vis-à-vis de la maîtrise de l’écrit a donné lieu à un correctif important en 2021 : l’instauration du grand oral au baccalauréat. Certes, des épreuves orales existaient déjà mais elles sont envisagées principalement comme une modalité de restitution de connaissances. La maîtrise de l’expression orale, la capacité à convaincre un auditoire, à mener un discours structuré devant un public, n’y sont pas les compétences évaluées prioritairement. Désormais « prendre la parole en public de façon claire et convaincante » devient un jalon du parcours de réussite des lycéens en général et technologique[1].

Avec la nécessité d’y être formé. Or, les moments consacrés pleinement à l’expression personnelle en public sont rares dans le parcours scolaire mais également en dehors de l’école. Dans l’introduction de son rapport consacré à la place de l’oral à l’école, Cyril Delhay, professeur d’art oratoire à Sciences Po, pointe à quel point « le manque d’oral est considérable » dans notre société. Et pénalise en premier lieu les élèves les plus vulnérables.

Un marqueur de la confiance en soi

Les jeunes en font également le constat, faisant du renoncement à la prise de parole un véritable enjeu de leur confiance en eux. Le baromètre Jeunesse&Confiance 2023 de VersLeHaut est éloquent sur ce point. Seuls 13% des jeunes interrogés – un panel représentatif des jeunes de 16 à 25 ans  – disent ne jamais renoncer à prendre la parole en public. Cette manifestation du manque de confiance en soi s’affirme à des degrés divers en termes de fréquence. 43% des jeunes femmes affirment y renoncer souvent par manque de confiance en elles (contre 28% des hommes).

Seuls 13% des jeunes disent ne jamais renoncer à prendre la parole en public.

Une autre source, l’étude Kantar pour la société Kalee, confirme ce diagnostic :  83% des jeunes de 18 à 24 ans disent ressentir du stress et de la peur lorsqu’ils doivent prendre la parole en public. 43% d’entre eux estiment que la façon dont ils s’expriment à l’oral a pu constituer un handicap dans leur vie. Seuls 25% des personnes interrogées, tout âge confondu, se souvient avoir bénéficié d’une formation utile à la prise de parole en public[2].

D’épineux enjeux éducatifs

Cette importance donnée à la prise de parole plaide pour une plus grande place de l’oral dans le parcours éducatif. Non sans une réflexion préalable sur les objectifs poursuivis. L’aisance à l’oral est perçue par beaucoup, y compris les jeunes, comme l’expression d’une certaine confiance en soi. C’est également une compétence recherchée dans le monde du travail où elle doit néanmoins souvent se conformer à des attentes très normalisées.

Or l’apprentissage de la prise de parole, surtout dans le contexte scolaire, ne manque pas de susciter un certain nombre de questions épineuses. Quelle écoute propose-t-on à la parole des enfants et des jeunes ? Est-ce qu’on prend le parti de valoriser l’éloquence, le discours entendable, au risque de favoriser les élèves déjà bien dotés – ceux qui ont le plus confiance en eux, qui maîtrisent déjà bien certains codes ? Ou travailler plutôt sur la capacité de tous – jeunes comme adultes – à proposer une écoute attentive, à abaisser notre niveau d’exigence sur les manifestations de la parole, en vue de favoriser une prise de parole plus authentique ?

Pas de parole sans écoute ni relation

« L’enjeu de la parole est aussi celui de la rencontre et de la relation. »

Thomas Comtet, directeur général de Trouve ta voix

Ce qui se joue dans la prise de parole participe de l’attention commune, clé de la relation. C’est ce que souligne Thomas Comtet, directeur général de l’association Trouve ta voix qui propose des parcours de formation à la prise de parole au collège et au lycée : « Lorsqu’un jeune prend la parole en sentant qu’il est écouté, il prend d’autant plus confiance. L’enjeu de la parole est aussi celui de la rencontre et de la relation. En me rendant compte que ma parole apporte quelque chose au collectif, je me découvre davantage. Ça devient un outil de connaissance de soi. »

Ces temps d’écoute sont rares pour les enfants et les jeunes dans leur parcours scolaire. Comme le souligne Christophe Marsollier, inspecteur général de l’éducation consulté dans notre étude Le sens de l’autorité : « On a besoin d’espaces de parole à l’école. Il y a très peu d’espace pour que les élèves puissent exprimer en toute sécurité, en toute confiance, ce qui ne va pas, leurs peurs, leurs angoisses, etc. »

Les élèves eux-mêmes l’expriment lorsqu’on les interroge. Ainsi, seuls 53,3% d’entre eux estiment qu’ils peuvent se confier à un adulte qu’ils apprécient dans leur établissement[3]. Sentiment confirmé par les élèves participant à l’enquête PISA en 2018. Ils avaient été interrogés sur le degré d’écoute et d’empathie des enseignants : la France se classait à l’avant-dernière place des 28 pays où le questionnaire avait été soumis.

Une hospitalité à la voix des jeunes

On rejoint ici le diagnostic particulièrement sévère établi par le Défenseur des droits : « C’est le constat majeur de la consultation […] effectuée en 2019 auprès de 2 200 enfants : les enfants ne se sentent pas entendus, ni au plan individuel, ni au plan collectif[4]. »

« Les jeunes apprécient de pouvoir parler en leur nom propre. A l’école, ils n’ont pas beaucoup l’occasion d’exprimer leur avis personnel. »

Elise Wagner, animatrice pédagogique chez Eloquentia

Les ateliers proposés sur le temps scolaire par des associations comme Eloquentia ou Trouve ta voix présentent ainsi l’avantage d’offrir l’opportunité aux jeunes de se faire entendre. L’expérience d’Elise Wagner en tant qu’animatrice pédagogique pour Eloquentia rejoint ce constat : « Beaucoup de jeunes apprécient de pouvoir parler en leur nom propre pendant les séances. A l’école, on leur demande de prendre la parole quand ils doivent faire un exposé, réciter une poésie. Mais ils n’ont pas beaucoup l’occasion d’exprimer leur avis personnel. »

Ainsi les élèves de 4ème sollicités pour participer à un concours de prise de parole organisé par le conseil départemental du Val-de-Marne avec l’appui d’Eloquentia peuvent librement développer leurs arguments sur les sujets proposés : « sommes-nous tous égaux dans le sport », « faut-il changer une équipe qui gagne ? », « faut-il mériter la victoire ? ».

Dans le parcours proposé par Trouve ta voix au collège, les élèves vont pouvoir choisir collectivement un thème autour duquel ils vont pouvoir construire un discours collectif. L’occasion de mettre en avant des sujets qui leur tiennent à cœur comme le phénomène des rixes, la pression scolaire, les violences policières.

Pour autant, ces moments ne viennent-ils pas souligner également cette difficulté de l’écoute et de l’expression de soi dans les autres temps de la vie de l’établissement ?

« On crée une bulle d’air, un moment propice à une posture différente, des liens nouveaux, un pas de côté par rapport au quotidien, constate Thomas Comtet. Avec un revers à la médaille : on isole à ces moments-là les bénéfices potentiels de l’oralité. »

Cependant, la possibilité offerte aux enseignants et autres personnels de l’établissement d’y assister ouvre aussi l’opportunité de découvrir les élèves dans un autre contexte et de s’inspirer des outils utilisés pour travailler également dans ce sens en classe.

Un engouement encore fragile

Malgré leurs difficultés dans le ce domaine, l’attrait pour ces formations de prise de parole est mitigé chez les jeunes et circonscrit à certaines catégories. Dans le cadre du baromètre Jeunesse&Confiance, nous leur avons demandé s’ils souhaiteraient bénéficier de telles formations. Or, moins d’un jeune sur 2 émet le souhait de participer. Ce sont les jeunes résidant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) qui sont les plus velléitaires : 66% souhaiteraient en bénéficier (44% chez les jeunes hors QPV).

L’intérêt des formations à la prise de parole en public est surtout perçu par les jeunes ayant déjà confiance en eux.

Le fait d’avoir déjà confiance en soi augmente également l’attrait pour ce type de formation : 60% des jeunes qui disent avoir tout à fait confiance en eux souhaiteraient y participer contre 39% des jeunes affirmant n’avoir pas confiance en eux. Preuve sans doute que ces formations ne sont pas forcément identifiées à priori comme des outils pour le développement de la confiance.

Sur le terrain aussi, l’apport de ces ateliers va être variable selon les profils d’élèves. Elise Wagner le ressent dans son expérience au quotidien : « La plupart des élèves perçoivent bien l’intérêt de l’atelier pour les attendus scolaires. C’est plus difficile pour eux de voir ce que ça peut leur apporter dans la vie de tous les jours ou de se projeter dans leur futur professionnel. Certains ne se saisissent pas de ce qu’on leur propose. Mais globalement, pour la plupart, on constate une prise de confiance. Et généralement, les séances permettent aussi d’installer un climat de bienveillance entre les élèves qui permet même aux plus réticents de prendre la parole et de se sentir capables de progresser. »          

Faire l’expérience de la confiance

Sous cette question de la prise de parole, se jouent des enjeux de confiance bien distincts. Pouvoir exprimer sa pensée, ses convictions, sous une forme qui met en valeur cette expression, permet effectivement de faire l’expérience et la démonstration de la confiance en soi.  Pour autant, lors de ces moments de prise de parole, une autre composante de la confiance peut être travaillée : celle de la confiance en l’autre. Se dévoiler à travers une parole authentique donne également l’occasion de se montrer vulnérable. Ce qui peut aussi constituer une mise en danger face à l’incertitude des réactions.

Le besoin de poser un cadre d’écoute propice à ce dévoilement est manifeste dans les projets pédagogiques menés en classe. Ainsi Thomas Comtet insiste sur l’importance d’un travail préalable autour de la confiance : « C’est tout l’objet des premières séances du parcours. Aller vers des conditions favorables d’écoute avant même de travailler la technique oratoire : la gestuelle, le regard, la posture. »

Cet investissement préalable peut s’avérer parfois fastidieux aux dires des intervenants. Ce qui souligne en creux que le travail de la confiance dans le groupe, l’instauration de règles de vie en commun qui favorisent l’écoute, la coopération, ne va pas de soi. Et explique également pourquoi les enseignants hésitent parfois à proposer des temps d’expression personnelle, de débat dans leur propre classe.

Les apports de ces interventions, qui peuvent être prolongées et mises à profit sur le temps en classe par l’enseignant, mettent ainsi également en lumière les bénéfices de l’appui de compétences extérieures à l’école. Le travail autour de la confiance, dans ses différentes dimensions, en constitue une illustration riche d’enseignements.

VersLeHaut remercie vivement les équipes d’Eloquentia et de Trouve ta voix.

Pour plus d’informations sur les programmes et l’activité des associations :

Eloquentia : https://eloquentia.world/

Trouve ta voix : https://trouvetavoix.org/


[4] Rapport du Défenseur des droits au Comité des droits de l’enfant de l’ONU, 2020, p.16.


[3] « Consultation Nationale des 6/18 ans. La jeunesse à bonne école ? », UNICEF,2021.


[2] « Les français et la prise de parole », 2022.


[1] https://www.education.gouv.fr/reussir-au-lycee/baccalaureat-comment-se-passe-le-grand-oral-100028