Une revue de littérature sur les causes et effets de la ségrégation sociale en milieu scolaire dessine en creux les vertus de la coopération entre élèves.
La publication en octobre 2022 des indices de position sociale des établissements scolaires par le ministère de l’Education nationale a attiré l’attention du grand public sur l’ampleur du phénomène de ségrégation scolaire, principalement dans les grandes villes. Pour beaucoup, elle est perçue comme une source des difficultés des élèves les plus défavorisés, concentrés dans certains établissements, en particulier en éducation prioritaire. Cette intuition méritait cependant d’être étayée par des éléments de preuves permettant de caractériser l’effet positif de la mixité sociale et scolaire sur les résultats et les trajectoires des plus défavorisés.
L’imposante revue de littérature scientifique réalisée par les chercheurs Pauline Charousset, Marion Monnet et Youssef Souidi à la demande du Conseil d’évaluation de l’école nous permet d’appréhender l’état des connaissances sur les effets de la mixité scolaire – mélanger des élèves de niveau scolaire hétérogène – et sociale – regrouper des enfants de milieux socio-économiques différents. Pour quelle conclusion ? Les preuves d’un effet positif de la mixité existent mais soulignent en creux l’importance d’une des faiblesses avérées de notre système éducatif : la coopération entre élèves.
Que peut-on attendre de la mixité ?
L’idée de mélanger des enfants de niveau scolaire, milieu socio-économique ou origine ethnique différents est souvent invoquée au nom d’idéaux politiques : faire société, vivre ensemble, partager un destin commun. Ces objectifs louables appellent cependant un effort de caractérisation. Quels effets concrets peut-on observer chez les enfants ayant été exposés à cette mixité ?
Par ailleurs, ce raisonnement suscite le rejet chez une partie de l’opinion publique pour qui l’école doit avant tout viser des objectifs en termes d’apprentissages formels. Les défenseurs de cette position soupçonnent la mixité de pénaliser les élèves les plus avancés et doutent de ses bienfaits pour les plus défavorisés.
La revue de littérature nous apporte ici des réponses claires : la réussite scolaire des élèves n’est que modérément influencée par les caractéristiques des pairs. En d’autres termes, la mixité scolaire et sociale n’a pas une influence importante sur les résultats scolaires. On ne peut ni s’attendre à une progression spectaculaire du niveau des élèves les plus défavorisés ni à une baisse du niveau des plus avancés.
Toutefois, malgré un impact modéré, les auteurs concluent à un fort consensus sur le fait que « les plus faibles scolairement bénéficient de la présence de bons élèves dans les environnements favorisant la coopération entre élèves. » (p.85)
Dans un autre registre, les auteurs notent un effet très positif de la mixité sociale sur les trajectoires des élèves provenant de milieux socio-économiques défavorisés : « la mixité sociale favorise la poursuite d’études dans le supérieur des élèves issus de la minorité ethnique ou de milieu social défavorisé, et ce, dans des proportions importantes. » (p.69)
Ils notent également que plusieurs études concluent à une diminution des préjugés et stéréotypes ethniques et sociaux mais également des comportements déviants.
En d’autres termes, la mixité sociale semble pouvoir poursuivre des objectifs politiques souvent plébiscités : plus grande égalité des chances, meilleure cohésion sociale, diminution des comportements antisociaux.
La coopération entre élèves, moteur des effets positifs de la mixité
Ces résultats encourageants appellent cependant à pousser plus loin la réflexion. Quels mécanismes sont ici à l’œuvre ? Les auteurs nous livrent une clé importante : « Pour que les effets de la mixité se réalisent pleinement, faire en sorte que des élèves de milieux sociaux variés soient scolarisés dans les mêmes classes ou dans les mêmes écoles est certes une condition nécessaire, mais elle n’est pas suffisante : il est également important qu’ils interagissent entre eux. » (p.75)
Faire se côtoyer des élèves n’a pas de sens si le phénomène de ségrégation se perpétue à l’intérieur des établissements, dans la classe, la cour de récréation comme lors des temps périscolaires ou extrascolaires.
Certaines études nous avaient donné des raisons de douter de l’effet autoréalisateur de la mixité. Les affinités électives des enfants – et des adolescents encore davantage – viennent parfois contrecarrer les bénéfices attendus. La recherche menée par Thimothée Chabot dans quatre collèges et publiée en 2022 dans la Revue française de sociologie établit une certaine homophilie – tendance à se lier avec ceux venant du même milieu que soi – dans les relations entre adolescents.
D’où une attention particulière aux incitations qu’ont les élèves français à rentrer en relation avec les autres, au-delà de leur cercle d’ami. L’étude détaillée des résultats des travaux de recherche exploités ici nous renseignent sur un enseignement essentiel : les effets positifs attendus de la mixité scolaire et sociale sont atteints quand des dispositifs sont mis en place pour faciliter, ou même provoquer, les interactions et la coopération entre élèves.
Or, notre système éducatif est en retard sur cet aspect : la coopération entre élèves y est moins développée que chez la plupart de nos voisins. Une note du Conseil d’analyse économique en faisant déjà le constat en 2018 en notant le « peu de place accordée au travail coopératif en groupe ou sur projets ».
L’étude TALIS qui interroge les enseignants sur leurs pratiques confirme que les enseignants français font moins travailler leurs élèves en petits groupes que leurs homologues d’autres pays (voir par exemple la note de la DEPP sur l’enquête TALIS 2018 dans le premier degré). Les résultats à l’enquête PISA des élèves français en résolution collaborative de problèmes sont d’ailleurs inférieurs à la moyenne de l’OCDE.
Jouer plus collectif à tous les niveaux
L’attention portée aux phénomènes de ségrégation scolaire et sociale nous invite donc à aller au-delà de l’objectif de faire se côtoyer des publics hétérogènes. La mixité porte en puissance des vertus que seules les transformations de l’école pourront rendre effectives.
Les auteurs en ont conscience quand ils concluent : « la réalisation de ces effets dépend largement du contexte dans lequel est mis en place la mixité sociale qui, selon les situations, nécessitera par exemple un accompagnement des personnels enseignants et des élèves ou encore de s’assurer qu’elle ne crée pas un environnement compétitif entre élèves. » (p.84)
Loin de ne concerner que la coopération entre élèves, il s’agit également d’embrasser plus généralement une logique collective dans la mise en œuvre des apprentissages – coopération entre enseignants mais également avec d’autres professionnels de l’éducation dans le cadre de projets, soutien et accompagnement de la hiérarchie – comme dans l’organisation de la vie des établissements.
Ces transformations sont probablement déjà en cours. Un récent rapport de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche concluait que « ces pratiques [collaboratives] se développ[ent] aujourd’hui de manière importante à tous les échelons du système éducatif ». Les enseignements de cette revue de littérature devraient contribuer à inciter à la mise en œuvre d’initiatives permettant de conjuguer mixité scolaire et sociale et dynamiques coopératives au sein des établissements.