En mai dernier, le magazine Okapi – édité par le groupe Bayard, comptant également au rang des fondateurs de VersLeHaut – invitait ses lectrices et lecteurs à répondre à un sondage en ligne sur la vie au collège. Les résultats de cette consultation témoignent de la pertinence du regard des enfants sur les faiblesses de notre système éducatif mais également sur les initiatives à mettre en œuvre pour y remédier.

« Le collège est l’homme malade du système » déclarait à la rentrée 2022 le ministre d’alors, Pap Ndiaye. Qu’en pensent les premiers intéressés ? Quel traitement souhaiteraient-ils voir administré au malade en question ?

Le bimensuel Okapi, destiné au 10-15 ans, a posé à ses lecteurs un grand questionnaire en ligne pour savoir ce qu’ils aimeraient changer dans leur établissement[1]. Le diagnostic posé par près de 700 d’entre eux, donne un aperçu, certes parcellaire, des symptômes de cette maladie. Et confirme la pertinence d’initiatives déjà poursuivies par certains enseignants et chefs d’établissements.

La qualité de la relation avec les enseignants pointée du doigt

65% des répondants affirment bien s’entendre avec les professeurs. Outre le fait que la relation semble donc moins aisée pour plus d’un tiers des lecteurs du magazine, les détails des témoignages laissent augurer des perspectives d’amélioration dans ce domaine. Ainsi, ils sont nombreux à s’estimer incompris, voire peu respectés, et certains n’hésitent pas à suggérer que des espaces d’échanges pourraient améliorer la relation.

Des résultats à mettre en perspective avec la Consultation Nationale des 6/18 ans menée par l’UNICEF en 2021 où seuls 52,3% des enfants interrogés répondait positivement à la proposition « à l’école, il y a un adulte que j’apprécie, à qui je peux me confier et raconter mes problèmes ».

L’importance d’une relation de confiance entre élèves et adultes, basée sur une ouverture à la réciprocité, une attention aux besoins des enfants, la volonté de leur laisser de la place a été récemment pointée par VersLeHaut comme un facteur clé de la légitimité de l’autorité des enseignants[2]. L’idée d’instituer des conditions d’un échange plus approfondi avec les élèves est d’ailleurs au cœur de la démarche de nombreux enseignants. L’initiative de Charlotte Serisier, professeure de français au collège, est très riche à ce titre. Elle propose, avec certains de ses collègues, des moments d’écoute empathique pour les élèves qui en expriment le besoin. Ce dispositif, intitulé « Pause ton

sac », permet de vrais moments de parole libre auprès des adultes volontaires de l’établissement formés à cet exercice[3].

De fortes exigences vis-à-vis de leur environnement de vie

Sans surprise, les jeunes lectrices et lecteurs d’Okapi sont également très sensibles au cadre de vie dans leur établissement. Ils se plaignent massivement de l’état des bâtiments – en premier lieu des toilettes jugées insuffisamment entretenues pour la grande majorité des répondants – du manque de soin apporté à la décoration des classes et de la qualité des services de restauration – plus d’un élève sur deux la juge insuffisante.

Cet enjeu est loin d’être anecdotique et régulièrement pointé du doigt comme un manque de volonté politique d’offrir aux enseignants et aux élèves des conditions matérielles décentes[4]. Le collège, en l’occurrence est à la charge des départements.

A moyens constants, cependant, certaines équipes éducatives font le choix de mieux impliquer les élèves dans l’aménagement des espaces. Catherine Piel, ancienne principale de collège consultée dans le cadre de l’étude Le sens de l’autorité, se souvient ainsi que dans son établissement « les élèves ont travaillé eux-mêmes à réaménager leur lieu de vie : le mobilier, des fresques dans le collège, la cour… ». Une façon habile de s’appuyer sur l’insatisfaction des élèves pour insuffler de la participation.

Et les enseignements dans tout ça ?

L’exigence des enseignements ne semble pas être l’élément le plus inquiétant pour les lecteurs. Seuls 5% d’entre eux trouvent le niveau des cours « pas évident » ou « hyper dur ». Sans être représentatifs de l’ensemble des collégiens – on sait qu’ils ne sont pas tous lecteurs réguliers en France ce qui fait de l’échantillon du sondage un public relativement spécifique – ils nous renseignent cependant sur ce qu’ils pourraient attendre de plus de ces enseignements.

Les témoignages mis en avant dans le numéro portent des pistes intéressantes car ils soulignent justement des faiblesses de notre système éducatif. Ainsi Titouan, élève de 3ème, déplore le fait que les meilleurs élèves ne soient pas mis à contribution pour venir en aide à ceux qui ont des difficultés. On retrouve ici une constatation de longue date selon laquelle les élèves français présentent « une faible capacité à coopé­rer entre eux par rapport aux autres pays de l’OCDE[5] ».

C’est ce qui incite certains enseignants à permettre à leurs élèves de porter des projets collectifs dont ils doivent assurer la conduite avec l’aide des adultes. Des acteurs associatifs, tel Imagineo à Lyon, proposent d’ailleurs aux enseignants de les accompagner dans cette tâche[6].

Anna-Lou, quant à elle, élève en 5ème se plaint d’un manque de pratique dans les enseignements qui lui sont proposés. La capacité à mettre en action les élèves, à dépasser la forme étroite du « cours » est un enjeu prégnant d’un parcours éducatif qui exploite peu les dispositions des élèves à explorer, sentir et faire.

Ce qui peut constituer une motivation pour sortir de la classe, idée déjà expérimentée par de nombreux enseignants. Ainsi, l’académie de Poitiers, par exemple, mène un projet de « classe dehors » qui mobilise plus de 300 établissements pour un total de près de 14.000 élèves. Allier les enseignements fondamentaux et la richesse de l’environnement extérieur, c’est investir d’autres vecteurs d’apprentissage que la transmission de savoirs.

Et permet de poursuivre un enseignement à l’écologie et au développement durable, réclamé par plusieurs des répondants à l’enquête d’Okapi, et dont un récent rapport de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche estimait que la « mise en résonance au service de l’appropriation et de la compréhension des questions environnementales dans toute leur complexité peine encore à prendre corps[7]. »

La « communauté éducative » et les enfants         

Trop souvent, la parole des jeunes reste lettre morte alors même que le droit à être consulté et entendu fait partie des droits de l’enfant[8]. La conclusion que formulait à ce titre en 2020 le rapport du Défenseur des droits est particulièrement sévère : « les enfants ne se sentent pas entendus, ni au plan individuel, ni au plan collectif[9]. »

Cette enquête illustre une nouvelle fois que la parole de l’enfant doit constituer une aiguillon de nos réflexions et des velléités de réforme de notre système éducatif. A l’heure où nous signalons l’importance de la constitution d’un collectif d’adultes autour de l’enfant – parents, enseignants, personnels des établissements scolaires, animateurs, éducateurs sportifs – n’oublions pas qu’il a lui-même toute sa place dans cette « communauté éducative ».


[1] Okapi n°1185 daté du 1er octobre 2023.

2] Voir notre récente étude Le sens de l’autorité. Idées et initiatives pour soutenir la relation éducative consultable librement.

[3] La présentation du dispositif est proposée sur la plateforme Canotech

[4] Voir par exemple un récent article de l’historienne Laurence De Cock, « Il est urgent de politiser la question matérielle », pour Le café pédagogique 

[5] L’initiative d’Imagineo est présentée dans notre étude Le sens de l’autorité.

[6] Selon la note n°48 du Conseil d’analyse économique Confiance, coopération et autonomie :pour une école du XXIe siècle.

[7]Comment les systèmes d’enseignement scolaire, d’enseignement supérieur et de recherche peuvent-ils être, face au changement climatique, à la fois transformés et transformants ? N° 21-22 100A, mars 2023.

[8] Rapport du Défenseur des droits au Comité des droits de l’enfant de l’ONU, 2020, p.16.

[9] L’article 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant adoptée en 1989 précise : « Les Etats parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité. »