Le métier d’enseignant est en crise. Crise des vocations tant les postes peinent actuellement à être pourvus : 16% de postes vacants dans le premier degré, près de 20% de places non attribuées au Capes dans la campagne 2023. De la fonction également, car de nombreux enseignants, face à des injonctions incessantes et parfois paradoxales, perdent le sens de leurs missions et souffrent de leur statut. L’issue de cette crise passera-t-elle par une métamorphose du métier ?
En 2012 déjà, la sociologue Françoise Lantheaume, évoquant cette crise lors de son audition au Sénat, préconisait de « soigner le métier pour ne pas avoir à soigner les individus ».
La métaphore médicale nous rappelle que la crise, au-delà de son aspect pathologique, porte l’amorce d’un changement. Le métier d’enseignant a déjà entrepris une mue qui pourrait l’amener à se transformer assez largement dans les années à venir.
A en croire les textes officiels, le métier d’enseignant est déjà fortement incité à évoluer. Loin d’être cantonné à une transmission de connaissance propre à sa discipline, l’enseignant est de plus en plus appelé à s’investir dans des projets transversaux, à accompagner les élèves dans leur orientation, à s’engager dans la communication avec les parents.
Le “pacte” : prologue à une transformation ?
Le ministère de l’Education nationale a formalisé des pistes d’évolution du métier dans un «pacte» qui entrera en vigueur à la rentrée 2023 : des missions supplémentaires rémunérées sur la base du volontariat.
La mesure a suscité l’opposition des enseignants qui y voient une réponse peu satisfaisante aux exigences de revalorisation exprimées.
Au -delà de la polémique, la nature des missions proposées fournit un indice sur la transformation en cours : remplacement des absences de courte durée, heures de soutien, participation au dispositif «Devoirs faits», aux vacances apprenantes, coordination et mise en œuvre de projets innovants, découverte des métiers.
Ces missions dessinent le profil d’un enseignant appelé à sortir de sa classe pour aller à la rencontre d’autres élèves que les siens mais également à s’ouvrir sur l’extérieur : d’autres établissements, le quartier, le territoire.
Ce portrait peut sembler déstabilisant pour certains qui se sont engagés dans ce métier en espérant n’avoir qu’à transmettre des savoirs mais rencontre les aspirations de ceux qui ont déjà investi de nouveaux horizons
Des initiatives au sein des établissements
Limiter la mission éducative de l’enseignant à la seule transmission des savoirs de sa discipline, par exemple, ne fait pas sens pour tous.
Ainsi, en complément de leur enseignement académique, certains investissent le champ du développement des compétences sociales et émotionnelles – connaissance de soi et des autres, coopération, gestion des conflits, etc. Et développent des outils à l’échelle de leur établissement telle Charlotte Serisier, professeure de français au collège popularisée par le documentaire «Ces profs qui changent l’école» qui anime des ateliers sur les émotions et a initié le dispositif «Pause ton sac» qui permet aux élèves de solliciter un temps de parole et d’écoute avec l’adulte de son choix au sein de l’établissement.
Certains enseignants n’hésitent plus à proposer aux parents de rentrer dans l’école. Ainsi, par exemple, Katia Forillière, professeure des écoles en toute petite section de maternelle en région Nouvelle-Aquitaine, les invite à rester dans la classe avec leur enfant aussi longtemps qu’ils le souhaitent. Une initiative prise également par Anne-Cécile, enseignante en CM2 qui leur propose de venir en observation pour des séances de deux heures dans la classe suivies de temps d’échange pour faciliter leur compréhension.
Quant à l’idée de sortir de la classe, elle est déjà expérimentée par de nombreux enseignants.
L’académie de Poitiers, par exemple, mène un projet de «classe dehors» qui mobilise plus de 300 établissements pour un total de près de 14.000 élèves. Allier les enseignements fondamentaux et la richesse de l’environnement extérieur, c’est investir d’autres vecteurs d’apprentissage que la transmission de savoirs : explorer, sentir, faire. Et permet également de poursuivre un enseignement au développement durable.
Les associations, pourvoyeurs d’opportunités
Les acteurs associatifs peuvent se positionner comme des alliés au service d’un enrichissement du métier et des missions des enseignants.
Ainsi, par exemple, les ateliers Amasco organisent pendant les vacances scolaires des semaines d’ateliers ludo-éducatifs menés par des équipes pluridisciplinaires – conjuguant les compétences de personnels issus du secteur de l’animation et de l’enseignement – qui permettent aux professeurs des écoles de faire l’expérience d’un rôle de coordinateur au service des apprentissages.
L’association Imagineo basée à Lyon accompagne quant à elle un enseignant et les élèves d’une classe entière dans l’élaboration et la mise en œuvre d’un projet – revalorisation de déchets électroniques en œuvres d’art, végétalisation d’espaces – ouvert sur leur quartier. Ainsi l’enseignant expérimente à la fois un certain retrait – ce sont les enfants qui mènent le projet – mais également un travail en équipe avec des acteurs locaux.
Les difficultés pour l’enseignant de trouver seul les ressources dont il estime avoir besoin pour investir de nouvelles missions peuvent donc être surmontées par l’appui de ces acteurs éducatifs extérieurs à l’institution. Le financement de ces partenariats peut être assuré par des subventions perçues par les associations au titre de partenaire de l’Éducation nationale. Depuis 2017, une plateforme de financement participatif, la «Trousse à projets», permet également aux particuliers et entreprises de contribuer à leur réalisation.
Des mutations à accompagner
Les enseignants français peinent à trouver des formations qui répondent aux exigences de leur pratique au quotidien. Celles qui leur sont proposées leur apparaissent souvent trop théoriques et peinent à leur fournir des outils faciles à mettre en œuvre au quotidien.
L’enquête Talis de 2018 menée par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) illustre à quel point les enseignants français sont insatisfaits de l’offre qui leur est proposée. Ils sont 47 % à considérer qu’il n’existe pas de formation appropriée à leurs besoins, contre 19 % en Belgique ou 24 % en Angleterre. Ils sont également majoritaires à considérer que l’accès à l’offre de formation est difficile.
Un nombre non négligeable d’entre eux recourent à des formations « hors-parcours », sur leur temps personnel et financées par leurs propres moyens. Il y a donc un véritable enjeu à aller vers les besoins des enseignants pour concevoir des programmes de formation qui répondent aux nouvelles aspirations et aux missions qu’on souhaite leur faire endosser : travail en équipe, lien avec les parents, accompagnement individualisé des élèves.
Un récent rapport d’information du Sénat abonde dans ce sens en recommandant d’ « encourager le développement dans les académies de plans locaux de formation en associant les personnels à leur construction » et de « développer les formations d’initiative locale en associant davantage les chefs d’établissement à la construction des formations et en veillant à une inscription des actions de formation continue au sein du projet d’établissement ».
Nouveaux profils enseignants ?
Cette transformation du métier d’enseignant renvoie également à la récurrente question de l’ouverture des carrières.
Les nouvelles missions enseignantes appellent en effet probablement le recrutement de nouveaux profils enseignants. Leur caractère moins académique rencontre plus favorablement des compétences développées dans d’autres secteurs d’activité.
On rejoint ici le troisième engagement formulé dans le cadre du Grenelle de l’éducation : « Favoriser les mobilités entrantes et sortantes pour renforcer la diversité des parcours et diversifier les profils recrutés ».
Cette ouverture peut s’avérer exigeante pour l’Éducation nationale notamment dans sa gestion des ressources humaines.
La médiatrice de l’Éducation nationale recommandait déjà dans son rapport 2021, concernant les enseignants, de « mieux prendre en compte et […] valoriser, tant dans le classement que dans les opérations d’affectation et de mutation, leurs activités professionnelles antérieures accomplies sous un régime juridique autre que celui d’agent public ».
Elle gagnerait également à faciliter les allers-retours entre secteur public et privé pour les enseignants ayant débuté leur carrière dans l’Éducation nationale.
Leur donner l’opportunité d’enrichir leur expérience sans mettre en péril leur avancement peut s’avérer être propice à la diversification des profils et des compétences des enseignants mais également à l’attractivité du métier.
Une transformation à double visage
Les évolutions que connait le métier d’enseignant peuvent être perçues comme une menace. Selon cette vision, le métier court le risque de se dénaturer, s’hypertrophier sous les injonctions à se saisir de tous les sujets éducatifs – connaissance de soi, citoyenneté, développement durable, usages du numérique et des médias, etc.
Elles peuvent également être entendues comme une opportunité permettant aux enseignants de se sentir plus en phase avec l’ambition éducative de la fonction, plus en lien avec les autres adultes chargés de l’éducation des enfants, plus ancrés dans la complexité du monde contemporain.
La résolution de cette tension contribuera sans doute à dessiner les contours du futur de l’institution scolaire et de sa capacité à honorer les fortes attentes qui pèsent sur elle.