En choisissant comme premier marqueur de son arrivée rue de Grenelle l’interdiction d’un vêtement pour motif religieux, le nouveau ministre entend d’emblée réaffirmer l’autorité de l’école. Au-delà des polémiques, la réussite de cette entreprise dépendra largement de la capacité de l’Ecole à davantage asseoir son autorité sur une relation de confiance avec les jeunes et leurs familles.
Ceux qui doutaient encore de l’habileté politique de Gabriel Attal en sont pour leurs frais. Quelques jours à peine après les propos sur l’école du Président de la République, que de nombreux observateurs avaient interprétés comme une « mise sous tutelle », le nouveau ministre de l’Education nationale a souhaité reprendre l’initiative en précisant son intention de « remettre l’autorité au cœur de l’école ».
Noble projet tant l’autorité est indissociable de la mission éducative. Pour accompagner l’enfant dans son développement, le faire grandir et l’autoriser peu à peu à prendre sa place, les adultes exercent de fait une autorité. En ce sens, l’Ecole, et ceux qui l’incarnent – en premier lieu les enseignants – en constituent incontestablement des figures emblématiques.
Parmi les mesures annoncées lundi 28 août, l’interdiction de l’abaya – habit féminin venu des pays du Golfe arabo-persique et réputé signifier une appartenance religieuse – a pratiquement éclipsé toutes les autres. Ce signal fort d’une institution qui entend réaffirmer sa conception de la laïcité suscite cependant des interrogations sur sa capacité à refonder ainsi la légitimité de son autorité.
La laïcité entend viser l’autonomie de l’enfant
Les contraintes que l’Ecole impose à ses élèves – et à leurs familles – doivent être interprétées à l’aune de la promesse de veiller à leur bien-être et à leurs intérêts futurs. L’instruction obligatoire et l’expérience de la vie en collectivité entend les préparer à devenir des adultes autonomes, aptes à prendre leur place et leurs responsabilités au sein de la société.
La charte de la laïcité à l’école va dans ce sens. La laïcité vise à établir « les conditions pour forger leur personnalité, exercer leur libre arbitre », les protéger de « tout prosélytisme et de toute pression qui les empêcheraient de faire leurs propres choix » et assurer leur accès à « une culture commune et partagée ».
Se rendre maître de son destin et à opérer ses propres choix passe par une exposition à la diversité des existences humaines et au développement d’un esprit critique face à des formes d’éducation qui peuvent être assimilées à de l’endoctrinement.
A ce titre, l’Ecole s’assure que les enfants ne sont pas soumis à la seule influence de leur famille ou d’une communauté sans contester la pluralité des convictions morales, qu’elles soient ou non religieuses, qui peuvent s’épanouir librement hors de ses murs.
L’autorité se construit dans une relation de réciprocité
Dans le même temps, la reconnaisse de la légitimité de cette autorité impose de construire les conditions d’une confiance partagée. Comment attendre des jeunes qu’ils souscrivent aux contraintes que leur impose l’Ecole s’ils n’ont pas acquis la conviction que celles-ci s’exercent dans leur intérêt ? Peut-il en être ainsi s’ils les interprètent comme une marque d’hostilité ou un manque de considération vis-à-vis de leur identité, leur culture, leur mode de vie ?
« Si vous n’êtes pas décidé à augmenter autrui, laissez toute autorité au vestiaire », mettait en garde le philosophe Michel Serres. Si l’élève, au contraire, doit se diminuer – en se coupant de ce qui constitue sa vie en dehors de l’Ecole – pour passer la porte de l’établissement, ne risque-t-il pas d’y lire une volonté de soumettre plutôt que d’élever ?
Une autorité légitime se nourrit de réciprocité et ne peut ignorer les singularités, les besoins et les affects de ceux sur qui elle s’exerce. A ce titre, elle ne peut effacer d’un coup de baguette magique le sens que confèrent des élèves au choix de revêtir ces vêtements – à des âges où ils sont déjà considérés suffisamment autonomes pour prendre des décisions engageantes pour leur propre avenir.
Une opportunité pour faire de l’école un lieu de relations
La teneur du dialogue qui va s’ouvrir avec les jeunes pour accompagner cette mesure sera déterminante. Si cette interdiction conduit à les bâillonner, alors même que la place donnée à leur parole conditionne le jugement porté sur la légitimité de ce ces exigences, quelle perspective porte-t-elle pour une refondation de l’autorité des enseignants ?
L’érosion de l’autorité de l’institution scolaire s’est nourrie de sa volonté de trop faire reposer sa légitimité sur son statut plutôt que sur les liens que peuvent nouer les élèves et leurs familles avec ses représentants.
Les enseignants, en particulier les plus novices, ont souvent le sentiment de ne pas avoir les outils pour s’engager dans une relation de confiance avec leurs élèves et appréhender leur parole, leurs affects. Ceux qui ont déjà entrepris d’investir pleinement cette dimension ont souvent dû le faire seuls, en se formant sur leur temps personnel, par leurs propres moyens.
Sans compter qu’il faudra également impliquer les familles sous peine de plonger certains élèves dans un conflit de loyauté dont l’institution risque de sortir perdante.
Le nécessaire accompagnement des équipes éducatives dans cette tâche pourrait ainsi paradoxalement constituer une opportunité. Celle de placer la relation au cœur des missions éducatives de l’Ecole.
L’annonce ministérielle positionne donc l’Education nationale à la croisée des chemins. Si elle se dérobe derrière sur son seul statut, elle prend le risque de nourrir la défiance des élèves et de leurs familles. Si au contraire, elle saisit l’opportunité d’investir pleinement la dimension relationnelle, de donner plus de place aux jeunes et d’accompagner les équipes éducatives dans cette transition, elle pourra se targuer d’avoir pris au sérieux le sens du mot autorité.
Stephan Lipiansky, rapporteur de l’étude « Le sens de l’autorité »