Transmettre des connaissances. C’est en apparence la mission première de l’enseignant. Et ce d’autant plus dans le second degré où le professeur enseigne une matière spécifique dont il est un spécialiste. Mais la réalité du terrain est souvent têtue ! Pour pouvoir enseigner les mathématiques, il faut parfois passer par des astuces, des chemins détournés et surtout s’intéresser à l’enfant, à l’adolescent derrière l’élève.

De nombreux enseignants font ce constat : la pédagogie exige souvent d’aller sur des terrains éloignés de l’image qu’on se fait initialement de ce métier. Le parcours de Caroline Mathias-Guyader en témoigne. Elle qui est arrivée presque par hasard à l’enseignement, n’hésite pas à mettre en mouvement ses élèves, à se soucier de leur plaisir et de leur bien-être, sans jamais rogner sur ses exigences académiques

Du bassin à la salle de classe

Caroline a toujours été une élève studieuse, mais sa jeunesse a avant tout été consacrée à sa passion : la natation. Détail loin d’être anecdotique car cette expérience a largement nourri son approche de l’enseignement. En premier lieu parce qu’une passion, ça fait prendre conscience qu’on peut se plonger corps et âme dans une activité sans ressentir tous les efforts consentis comme une contrainte. Mais également parce que cette expérience sportive l’a sensibilisée à l’unité de sa propre personne : tête, corps et cœur ne peuvent être dissociés.

« Avoir du plaisir et se sentir bien sont des conditions indispensables pour les apprentissages » résume Caroline, présentant par là-même ce qui structurera largement son approche pédagogique aussi bien sur le bord du bassin – elle a également été entraineuse – que dans la salle de classe.

Pour mettre en œuvre cette approche, elle a dû acquérir petit à petit les outils et la confiance nécessaires pour oser emmener ses élèves là où ils n’avaient pas forcément l’habitude d’aller.

S’installer progressivement dans son rôle

L’entrée dans la carrière d’enseignante n’a pas été une évidence. Malgré un succès au Capes, où elle s’était inscrite pour suivre ses amis, Caroline hésite, demande une année de disponibilité pour préparer l’agrégation, prétexte surtout pour ne pas sauter tout de suite dans le grand bain.

S’ensuit une année de stage à Bourges où la solida­rité entre enseignants lui permet de vaincre ses ap­préhensions. Puis c’est l’affectation à Combs-la-ville en 2001 dans un collège difficile qu’elle quittera assez vite pour Villecresnes où elle s’établit pour 18 ans.

Cette stabilité a été salutaire pour introduire par petites touches les éléments qui lui permettront poursuivre ses convictions : des concours de mathé­matiques, où les méthodes sportives pouvaient trou­ver toute leur place, du travail en groupe, de la classe mutuelle, un peu de yoga…

La classe traditionnelle, elle l’a pratiquée aussi mais a tendance à s’en détacher : « Je me suis rendu compte a posteriori que le cours magistral ne fonctionnait pas. » Un constat qui a participé à son envie de pratiquer la classe inversée depuis quelques années.

La classe inversée, sursaut pédagogique

En 2014, Caroline découvre qu’elle souffre d’une maladie suffisamment grave pour la conduire à arrê­ter le sport. Ce choc va susciter chez elle le courage d’aller au bout de ses aspirations pédagogiques. Car elle sentait déjà depuis quelques temps qu’elle butait sur certains obstacles dans sa démarche de se por­ter au plus près des besoins des élèves ; qu’elle faisait trop la même chose pour tout le monde.

Intéressée depuis quelques temps par la pratique de la classe inversée, inspirée notamment par Nicolas Lemoine et Cyril Michaud, deux enseignants et for­mateurs en mathématiques dans l’académie de Cré­teil[1]. Ce modèle pédagogique inverse les rôles tradi­tionnels : les élèves découvrent les nouvelles leçons à la maison via des vidéos, et les cours en classe sont consacrés à des exercices pratiques et à des discus­sions approfondies.

Le choc de sa maladie va susciter chez elle le courage d’aller au bout de ses aspirations pédagogiques.

Durant l’année scolaire 2016-2017, une fois son stage de formation terminé, Caroline annonce aux élèves : « on va essayer une nouvelle méthode, je ne l’ai jamais fait, on va tester trois semaines, si ça ne marche pas on va trouver des solutions. » Ce qui n’a pas été facile à mettre en place : il a fallu créer des vidéos, organiser des méthodes pour les travaux de groupe.

Au bout de trois semaines, elle propose un petit sondage aux élèves : quasiment tout le monde avait été emballé, ils voulaient continuer. Seuls quelques élèves marquaient leur réticence : les « perturbateurs » que le travail en groupe avait privé de leur public et ceux qui étaient déjà à l’aise avec une méthode très scolaire.

Pour Caroline, cette expérimentation confirme son diagnostic : le cours magistral ne fonctionnait pas. Le rythme n’était adapté à personne.

En conseil de classe et en réunion parents-profs, les parents se révèlent également plutôt enthousiastes.

Coopération, autonomie

La classe inversée est aussi l’occasion pour Caro­line de renforcer les pratiques coopératives et auto­nomes au sein de sa classe. Pour découvrir les notions comme pour les approfondir par des applications, les élèves sont répartis en petits groupes. Une façon de travailler qui n’a rien de spontané pour la plupart des élèves et qui nécessite d’être accompagnée.

Caroline développe au fil du temps quelques ou­tils précieux. Une distribution des rôles entre élèves de chaque groupe pour que chacun trouve sa place plus facilement dans l’activité collective. Ou encore une drôle de pyramide colorée, un « tétra-aide », qui permet à chaque groupe de signaler visuellement sa situation de travail : tout va bien/on a des questions non bloquantes/on est bloqués/on n’arrive pas à tra­vailler à cause du bruit[2]

Une configuration qui permet de limiter les inter­ventions de l’enseignant au strict nécessaire pour la bonne marche du travail en classe.

Ne pas s’arrêter aux apprentissages formels

Pour Caroline, enseigner ne se limite pas à la trans­mission de connaissances. Elle croit fermement en l’importance de considérer les élèves dans leur per­sonne entière – corps, coeur et tête. Cette approche se traduit par des initiatives comme des exercices de mise au calme, inspirés du yoga, ou des modules cen­trés sur la découverte de soi et des autres[3] – autour, par exemple, des forces de caractère, ces valeurs qui qui s’expriment à travers les actions de chacun et sont autant de qualités utiles pour soi et pour les autres – une réflexion sur les besoins du groupe, etc… Mais également des petites attentions au quotidien : des petit post-it – « courage », « tu vas y arriver » – sur les tables pour le brevet blanc, un travail autour des actes de gentillesse pour la semaine du bonheur à l’école.

Caroline croit fermement en l’importance de considérer les élèves dans leur personne à part entière : corps, tête, coeur – une approche qui se traduit par des initiatives en classe.

Prendre soin d’eux et des autres peut être une fa­çon pour les élèves de retrouver une motivation, de reprendre pied à l’école. Comme pour ces élèves du dispositif relais qui sont identifiés comme « en voie de déscolarisation et de désocialisation » et à qui sont proposés des ateliers de remobilisation[4]. Caroline anime cette année avec ces élèves dix séances desti­nées à révéler leurs « talents cachés ». A l’issue d’une séance consacrée au corps agrémentée d’un soupçon de yoga, un élève lui confie même « madame, vous m’avez fait revivre ! ».

Elle encourage également les projets concrets qui relient les enseignements à des situations réelles, afin de donner du sens aux apprentissages. Participer par exemple au projet 100 000 entrepreneurs[5] permet aux élèves de mettre en relation leur vécu scolaire et leur devenir professionnel à travers des interventions ex­térieures, des témoignages….

Prendre le temps, ne pas brusquer

Vis-à-vis des élèves, comme des collègues ou des parents, la nouveauté, le pas de côté, peuvent être perçus avec une certaine réticence. En arrivant ré­cemment dans un nouvel établissement, Caroline a pu le constater. Son approche est parfois jugée sau­grenue, voire « bisounours » par certains.

« L’idée n’est pas d’imposer, de brusquer mais au contraire de prendre son temps, de laisser venir les choses » observe-t-elle avec philosophie. Ainsi, tel élève de 3ème qui ne participait pas lors des moments « respiration » et qu’elle surprend à s’y appliquer le jour de l’examen du brevet. Ou telle collègue dubitative à son arrivée et qui lui annonce quelques années plus tard avoir suivi plusieurs de ses propositions.

Jamais à court d’idées

En parcourant le site personnel de Caroline[6], on se rend compte du foisonnement de ses initiatives, de son souci d’aller toujours chercher de nouvelles idées, de nouveaux outils pour coller au mieux aux besoins de ses élèves. De continuer à se former également.

Elle encourage également les projets concrets qui relient les enseignements à des situations réelles, afin de donner du sens aux apprentissages.

Elle va d’ailleurs prochainement préparer un nou­veau diplôme d’université, « Promouvoir la motiva­tion et le bien-être à l’école ». Elle se réjouit de cette perspective. Pas seulement pour elle, mais également pour l’institution. « C’est très bien que l’Education na­tionale s’empare de cette question ! » nous glisse-t-elle.

Au vu de son expérience, nous étions déjà convaincus !

Stephan Lipiansky


[6] http://aufildesmaths.fr/


[5] https://eduscol.education.fr/902/les-dispositifs-relais

[4] https://www.100000entrepreneurs.com/


[3] Sur la base d’outils créés par l’association Scholavie.


[2] Inspiré d’une initiative de Bruce Demaugé-Bost, enseignant en élémentaire.


[1] Qui animent également les cours de mathématiques de la plateforme Lumni.