Les émotions, apprentissages fondamentaux. 

L’enseignement des émotions a le vent en poupe. Intégré dans divers programmes éducatifs et de santé publique à travers le monde sous le nom de compétences psychosociales (CPS), cet enseignement vise à promouvoir le bien-être mental et social des individus, particulièrement chez les jeunes.  

Les CPS ont d’abord prouvé leur efficacité dans la sphère pénale au sein de programmes de réhabilitation et d’insertion sociale. Depuis quelques années, elles rencontrent également les enseignements des professeurs des écoles jusqu’à figurer dans la liste des annonces du « Choc des savoirs » pour la rentrée 2025. Les quelques associations spécialisées comme ScholaVie , Ecolhuma, Association Savoir Être à l’Ecole, se sont récemment regroupées sous l’enseigne du « Collectif CPS ».  

L’empathie, qui figure parmi les CPS, est classifiée comme un apprentissage nécessaire pour “communiquer de façon constructive” (voir tableau ci-dessous). Peut-on donc imaginer qu’elle sera bientôt enseignée comme on enseigne le théorème de Pythagore ? 

Un pour tous et tous pour un !

Le « jeu des mousquetaires » est un exemple de mise en apprentissage de l’empathie. Imaginé avec des enseignants par le sociologue et psychologue Omar Zanna1, cette activité repose sur le principe que les émotions peuvent être des alliées de la réflexion, à condition d’être identifiées et apprivoisées. Dans le cadre de ce jeu, les élèves ne sont plus interrogés individuellement mais collectivement. Ils doivent répondre à des questions de mathématiques ou de français par groupes de quatre. Un cinquième participant, appelé « joker » peut intervenir avec la bonne réponse, mais seulement s’il perçoit que l’un de ses camarades est en difficulté. L’objectif : observer attentivement et décrypter les postures, les voix ou les expressions pour déceler les marqueurs d’une incertitude, d’un inconfort ou du stress. 

Un tel exercice vise à réduire l’anxiété par une meilleure connaissance des autres et une meilleure gestion de la proximité. Entrer en complicité dans les émotions, mettre des mots sur un ressenti et une perception : ces acquis sont essentiels et méritent d’être travaillés.  

A quand les professeurs d’empathie  ?

Cette hypothèse – l’empathie se travaille et se transmet – semble d’ailleurs assez bien adoptée par les pédagogues français. C’est loin d’être le cas partout. Le professeur américain de neurosciences Jean Decety est l’un des détracteurs de cette hypothèse. Pour lui, « l’empathie est une aptitude naturelle inscrite à 60 % dans les gènes. Il existe des différences interindividuelles importantes qui sont globalement stables au cours de la vie. La plupart des gens ont de l’empathie, certains n’en ont pas ou peu et d’autres en ont trop »2

L’empathie ne sera probablement pas l’objet d’un cours, au même titre que le français ou l’éducation civique. Le jeu des mousquetaires est révélateur du fait que l’empathie doit être incarnée pour être enseignée. S’il s’agit d’une discipline, les manuels en sont les élèves. Elle se vit avant de se transmettre, et peut être un point d’attention dans le cadre de toutes les disciplines. On imagine aisément comment exprimer ses émotions en cours d’arts plastiques ou en développant son vocabulaire dans tous les cours de langue.  

Dans le périscolaire, on observe de nombreuses initiatives se développer en ce sens, parfois répercutées en éducation physique et sportive à l’école. L’association PLAY International a développé un kit en 7 séances : autour de jeux classiques – courses, béret, relais…, les élèves sont par exemple amenés à mettre des mots sur leur besoin, à adopter des postures qui manifestent leurs émotions, à dialoguer et à s’écouter au sein d’un collectif… 

La dernière étude de VersLeHaut Le sport, terrain d’éducation, raconte le projet toulousain Insertion Rugby de Rebonds ! « La victoire relève autant de la performance sportive que de la performance comportementale des élèves. Des points de fair-play et de coopération sont attribuées aux équipes […] et font l’objet d’une auto-évaluation confirmée par l’éducateur socio-sportif ». L’acquisition de ces CPS (apprendre à laisser gagner, à gérer sa colère, à respecter les règles…) est possible parce que les éducateurs « maîtrisent les différents contextes et leurs spécificités auxquelles ils s’adaptent. Ils doivent « parler la langue » de l’école […], des clubs… ». 

Chaussons bien les cordonniers… 

Un tel apprentissage est exigeant pour les enseignants et se ne fera qu’au prix d’une une formation solide, notamment en primaire. Leur formation est d’autant plus cruciale que l’apprentissage des CPS est transversal : il nécessite une bonne communication entre enseignants et avec les éducateurs pour que les objectifs définis par les CPS soient perçus par les élèves. 

Au-delà de la question de la formation, l’apprentissage de l’empathie pose la question de l’évolution des méthodes d’enseignement. En 1907, Maria Montessori – qui a fait ses armes en éducation spécialisée – réalisait une avancée majeure dans le domaine des compétences, même si elles n’étaient pas nommées ainsi à l’époque. La médecin et éducatrice a développé une approche éducative centrée la reconnaissance et le respect de ses émotions, et l’importance des interactions sociales positives en mettant en place des environnements d’apprentissage où les enfants pouvaient explorer librement, apprendre à coopérer, et développer leur confiance en eux, jetant ainsi les bases de ce que nous considérons aujourd’hui comme des compétences essentielles pour le développement personnel et social. 

Et pourtant cent ans plus tard en France, l’immense majorité des élèves est encore assis à un pupitre 6 à 7 heures par jour, et la coopération n’est qu’anecdotique dans les apprentissages. L’apprentissage de ces nouvelles compétences identifiées comme essentielles pourrait être pensé au prisme d’une révolution, pas nouvelle mais tant attendue, des méthodes d’enseignement. 

Santé Publique France propose en ce sens des modalités opérationnelles précises (voir tableau ci-dessous), préconisant justement la mise en œuvre quotidienne des CPS, une implantation durable et s’appuyant sur une formation de qualité pour les formateurs et accompagnateurs d’enfants. 

En pratique, VersLeHaut préconise d’instaurer des temps partagés entre enseignants et éducateurs. Ces binômes pourraient mettre en œuvre des projets pédagogiques fondés sur l’alternance des activités en classe / activités physiques (à retrouver dans l’étude Le sport, terrain d’éducation).